Agences et opérateurs de l’Etat : le thermomètre n’est pas la maladie !
CONTRIBUTION
7/8/202510 min lire


Contribution de Ghislaine Senée, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires
Introduction
La commission d’enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, présidée par Pierre Barros et rapportée par Christine Lavarde, a mené un travail rigoureux, autour de nombreuses auditions et demandes de données. Le rapport final objective la réalité des conditions d’organisation et de financement des agences. Il permet notamment de lever nombre de fantasmes sur les viviers d’économies possibles. Si nous partageons certains constats et propositions faites sur le pilotage, l’évaluation et la nécessité de renforcer la culture de la tutelle, nous déplorons que le rapport final amendé cède aux demandes démagogiques du groupe LR de suppression d’un certain nombre d’agences, couplées à des suppressions de postes dans les fonctions support, dans le seul but de faire des économies.
1. Apports du rapport : des constats partagés sur la gouvernance et une objectivation des données sur les coûts
1.1. Renouer avec une tutelle de confiance
L’Etat doit s'atteler à renforcer le pilotage de ces structures et à re-développer la culture de la tutelle. Si l’élaboration de contrats d’objectifs et de performance (COP) ou de contrats d’objectifs et de moyens (COM) sur une période de 5 ans doit bien être systématisée, ces contrats doivent s’établir dans le cadre de relations de tutelle interne, sans recours à des cabinets de conseil. Une fois ceux-ci signés, l’Etat doit respecter le cadre adopté et ne peut abandonner ses engagements financiers en cours de programmation. Le respect de ces engagements financiers est de nature à redonner confiance aux agents, dans un contexte de défiance vis-à-vis de leur travail.
Ainsi, l’Agence Bio - dont l’objet est de promouvoir l’agriculture biologique et d’accroître les débouchés des agriculteurs et paysans labellisés - a signé un COP avec son ministère de tutelle pour la période 2024-2028. Pourtant, dès 2025, soit à peine un an après la signature du COP, le gouvernement a fait le choix de supprimer 64% des crédits, en cours d’exercice, pour des raisons strictement politiciennes. Outre les effets climatiques et sanitaires d’une telle décision, cela remet en cause la crédibilité de l’Etat dans la capacité de pilotage et de gestion de l’ensemble des agences.
Sur le plan méthodologique, nous souscrivons aux orientations générales proposées, qui visent à redonner de la cohérence à la gouvernance des agences et opérateurs de l’État. Le retour de la culture de la tutelle doit être fondé sur une relation de confiance, mais exigeante, appuyée sur des outils d’évaluation rigoureux et réguliers. Cela suppose la généralisation de documents stratégiques pluriannuels adossés à des échéances de réexamen, voire de date d’extinction, permettant de réinterroger périodiquement l’utilité et la performance des dispositifs.
La comptabilité analytique constitue un levier essentiel pour apprécier la soutenabilité et la pertinence des actions menées ; elle permet également d’objectiver les débats et de répondre de manière argumentée aux critiques formulées à l’encontre des agences.
2.2. L’efficience réelle des agences, loin des fantasmes budgétaires
La résolution du groupe Les Républicains tendant à la création de cette commission d’enquête insistait sur deux points : le vivier possible d’économies et la lutte contre le surcroît de normes générées par ces agences et opérateurs. Après 6 mois de travail dense, le rapport démontre l’invalidité de ces deux hypothèses.
Les élus Les Républicains invoquent depuis plusieurs années les “nombreuses économies” potentielles sur les agences, ne serait-ce qu’en termes de ressources humaines. Pourtant, le rapport démontre que ces structures ne sont pas des gouffres financiers en fonctionnement - c’est-à-dire en coûts de personnel et de structure - et font preuve, au contraire, d'une réelle efficience dans la gestion des crédits d’intervention. Ces agences mettent en œuvre les politiques publiques décidées et cadrées par le gouvernement, validées par le parlement. Les économies de fonctionnement apparaissent comme très modérées et ne sauraient, contrairement à ce qu’on peut entendre dans les débats autour des agences de l’Etat, résoudre le problème de déficit de l’Etat français.
Dans le cas de l’ADEME, avec le fonds chaleur, l’agence est chargée d’instruire les demandes, en appliquant les règles fixées par le législateur. Le rapport de la commission d’enquête confirme la bonne gestion des dispositifs délégués à l’ADEME et son rôle indispensable dans le conseil aux collectivités sur les actions en matière de politique climatique.
Le groupe Les Républicains considérait que les agences “génèrent une complexité normative toujours croissante, voire une insécurité juridique, dont la charge finale repose généralement sur le citoyen, l'usager ou encore les acteurs des activités régulées”. Le rapport final ne permet pas d’étayer la création de normes nouvelles par les agences. Leur rôle est de mettre en œuvre, pour l’Etat, les politiques publiques et souvent de manière territorialisée. Si un acteur n’obtient pas la subvention qu’il sollicite, cela s’explique davantage par le non-respect des critères fixés par le législateur que par une surproduction de normes définies par l'agence gestionnaire.
2.Réserves et mises en garde : quand la rationalisation devient un prétexte à l’affaiblissement
2.1. La recentralisation préfectorale : une fausse bonne idée
Le transfert de compétences des agences vers la préfecture renforce les pouvoirs des préfets et le spectre de leurs missions. Si cette centralisation vise une meilleure lisibilité administrative, voire parfois une plus grande efficacité, celle-ci s’accompagne d’une pression croissante sur les services préfectoraux, déjà fortement mobilisés. Depuis les réorganisations engagées à partir de 2010, les services déconcentrés ont connu un affaiblissement progressif : diminution des moyens humains lors des réformes successives et complexification des chaînes de décision. Ce mouvement, loin d’être neutre, est le reflet d’un phénomène plus large de recentralisation, dans un contexte de montée en charge considérable du rôle du préfet.
Ce dernier se retrouve aujourd’hui à la croisée des injonctions, en situation de devoir arbitrer, instruire, déroger et parfois trancher seul, sous forte contrainte temporelle et politique.
Il est illusoire de penser que le transfert des agents et de leurs compétences au niveau des préfectures et sous-préfectures des départements se fasse sans encombre ni perte. Il est à déplorer un risque de perte d’expertises, alors même qu’il est déjà difficile de pourvoir les postes d’experts techniques dans la fonction publique du fait du manque d’attractivité des salaires. La stabilité de l’emploi, dont on voit ici qu’elle est passablement mise à mal, n’est plus un critère déterminant. Reconstituer des services déconcentrés experts dans des domaines techniques – transition écologique, développement rural, expertise technique en matière d’aménagement – apportant une ingénierie de proximité et une capacité d’analyse, dans tous les départements de France, n’est pas garanti.
À cela s’ajoute une instabilité liée au renouvellement fréquent des préfets, parfois dicté par le rythme politique national, qui peut engendrer une perte de connaissances du terrain et des acteurs, des changements de méthodes, des pertes en efficacité et des incompréhensions avec, in fine, un risque d’immobilisme pour certains territoires.
En outre, la volonté de renforcer le pouvoir dérogatoire du préfet engage sa responsabilité de façon inédite, et ne doit en aucun cas devenir un prétexte pour les élus locaux afin de se protéger de leurs propres responsabilités. Il est impératif de clarifier les chaînes de responsabilité et de doter les préfets de moyens humains et techniques à la hauteur des missions qui leur sont confiées. Par ailleurs, la mise en place d’outils de régulation et d’une instance de médiation entre niveaux de décision apparaît nécessaire pour préserver l’équilibre institutionnel et garantir la continuité de l’action publique.
2.2. Fusions précipitées, le mythe de la simplification : des restructurations coûteuses et contre-productives
Fusionner pour fusionner est rarement efficace et la réduction de coûts de structure attendue n’a jamais été démontrée dans les faits. De nombreuses agences sont nées de fusions ces dernières années. De tels processus entraînent des restructurations importantes qui perturbent le travail des opérateurs dans leur mission première, qui doit rester la conduite des politiques publiques. Non seulement ces fusions s’exercent sur un temps très long mais elles forment également un détournement de moyens, qui devraient être dédiés à la mise en œuvre de politiques publiques. Multiplier ces fusions pourrait conduire à une grande désorganisation, à l’heure où nous avons, au contraire, besoin que les différents opérateurs de l’Etat exercent leurs compétences pleinement.
S'il est évident que les doublons ne peuvent perdurer dans un contexte budgétaire contraint, force est de constater que la commission d’enquête a peiné à en identifier.
Nous ajoutons notre grand étonnement face à la proposition d’indemniser les élus siégeant dans des conseils d’administration des différents organismes d’Etat, les élus percevant déjà une indemnité pour exercer leur mandat.
Une telle mesure apparaît non seulement contraire à l’objectif de maîtrise des dépenses publiques, mais également susceptible d’être porteuse de dérives.
3. Dérives démagogiques et trumpisme sénatorial
3.1. Le populisme budgétaire comme masque du climato-négationnisme
La qualité du rapport est dénaturée par les recommandations, ajoutées en dernière minute, qui répondent à une commande politique claire : affaiblir, voire démanteler, les agences qui interviennent sur les questions environnementales. Nous, groupe écologiste, regrettons que le seul domaine d’action publique qui fasse l’objet d’une réorganisation intégrale soit celui des politiques de transition écologique et de lutte contre la crise climatique. Symboliquement, le fait que la première annexe soit dédiée à ce sujet n’est pas un bon signal.
Face aux effets de plus en plus concrets des dérèglements climatiques dans les territoires pour les citoyens, une attaque très claire contre les agences dont l’objet même est d’agir pour en atténuer les effets et de lutter contre les multiples précarités sociales (de logement, alimentaire, énergétique…) est incompréhensible et inacceptable. La droite française démontre une fois encore qu’elle cède à la montée des populismes de droite radicale et d’extrême droite, qui par calcul politique sombrent dans le climato-négationnisme et dans le rejet de la science.
L’explosion de cancers, dont le lien est incontestablement établi avec les pesticides chimiques, est une réalité. La suppression de l’Agence Bio est un renoncement pour la santé publique.
La précarité énergétique - illustrée par un froid insupportable l’hiver et une chaleur suffocante l’été - est une réalité. Comment comprendre la suppression de l’ANAH, qui œuvre au contraire pour l’amélioration de la qualité du logement pour tous et partout, avec notamment une action très forte sur la rénovation thermique des logements ?
Notre société est fracturée. Les inégalités explosent. La suppression de l’ANRU, seule réelle politique publique efficace en matière de logements dans les quartiers de la politique de la ville, est scandaleuse.
A l’heure des extinctions de masse de la biodiversité, la dislocation de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) - à qui le Sénat veut faire perdre son pouvoir de police administrative - sous prétexte que ses agents font leur travail, contrôlent et font respecter les règles, est intolérable.
3.2. Affaiblir les agences, c’est (aussi) désarmer les territoires
Les collectivités territoriales, particulièrement celles du bloc communal, sont les plus à même de transformer leur territoire, pour l’adapter au changement climatique et pour protéger les populations des multiples risques. L’Etat affaiblit leurs moyens d’action en baissant à la fois leurs dotations et leur autonomie fiscale.
Plusieurs agences les accompagnent utilement dans leur mission, telle l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires - ANCT. Les affaiblir, c’est un coup supplémentaire porté à la capacité d’agir des collectivités. Comme le souligne l’Association des Maires Ruraux de France, les élus locaux ont besoin de continuité et ne supportent plus les changements incessants dans l’organisation des agences d’Etat avec qui ils travaillent.
Conclusion : un vote contre le renoncement
Le travail mené par la commission d’enquête pose des jalons utiles pour améliorer le pilotage, la lisibilité et l’évaluation des agences de l’État. Nous partageons l’exigence d’un renforcement de la tutelle, d’une meilleure articulation entre les acteurs, et d’une rationalisation des fonctions support visant à renforcer la lisibilité ainsi que l’efficacité de l’action de l’Etat. Ces éléments peuvent contribuer à clarifier les responsabilités et à améliorer la qualité du service public.
Mais ce travail a été largement dévoyé par dogmatisme et par des amendements de dernière minute, guidés par des considérations strictement politiciennes. La focalisation des attaques sur les agences environnementales révèle une stratégie délibérée : celle d’affaiblir les instruments publics qui structurent la réponse de l’État face à la crise climatique, aux fractures sociales et aux inégalités territoriales.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à une dérive inquiétante : celle d’un populisme qui feint la rationalité budgétaire pour mieux masquer un projet politique. À rebours des urgences climatique, sanitaire et sociale, certaines forces politiques instrumentalisent le débat sur les agences pour jouer sur les peurs d’une opinion inquiète, en désignant des boucs émissaires supposés inutiles, coûteux, voire nuisibles. Ce discours est un écho dangereux aux rhétoriques climato-négationnistes qui prospèrent dans les courants de la droite radicale et de l’extrême droite. Nous pouvons déplorer que la chambre haute du parlement français ne s’en distingue pas.
Nous refusons de cautionner cette instrumentalisation. En s’attaquant aux agences qui œuvrent concrètement pour la transition écologique, la santé environnementale, la justice sociale ou la cohésion des territoires, c’est la capacité même de l’État à répondre aux défis du XXIe siècle que l’on affaiblit. La suppression ou la fragilisation de ces opérateurs n’est pas une réponse aux crises que nous vivons : c’est un aveuglement, un recul, voire un renoncement.
A l’heure où les conditions d’habitabilité de notre planète pour les générations futures, mais aussi pour toutes celles et ceux qui y vivent déjà, sont plus que jamais menacées, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne peut que voter contre ce rapport et luttera contre les recommandations qui affaiblissent, selon nous, la capacité d’agir des territoires.
Valérie Masson-Delmotte déclarait en juin 2025 : « Le climat change très vite. Nous avançons lentement derrière ». Autant dire que ce n’est pas le moment de casser le thermomètre.