Colloque : Rôle et place des élu·es sans délégation dans un contexte de crise démocratique.

Document de travail issu de la retranscription du colloque

10/11/202477 min lire

Introduction de Ghislaine Senée, sénatrice des Yvelines :

Il me semble important de vous expliquer d’où je viens, car cela aide à comprendre pourquoi nous sommes réunis aujourd’hui. Je suis Ghislaine Senée, Sénatrice des Yvelines, mais j’ai été préalablement maire d’une commune de 870 habitants. Du jour au lendemain, sans que j’ai été conseillère municipale auparavant, je me suis tout à coup retrouvée à la tête d’un exécutif avec 14 autres élus et il a fallu que j'apprenne à travailler avec eux, en équipe, à mesure que les défis se présentaient.

Bien qu’ayant déjà eu une expérience professionnelle pendant laquelle j'avais eu l’occasion de faire un peu de management, j’ai vite compris que gérer un conseil municipal était différent. Il n’y a pas de lien hiérarchique. C’est avant tout un engagement personnel de chacun. La tâche s’est révélée plus complexe que je ne l’imaginais et la relation de confiance s’est construite progressivement avec mon équipe. D’ailleurs, l’une de mes anciennes conseillères municipales est là aujourd’hui. Durant mon mandat, je me suis souvent interrogée sur comment réussir à animer et surtout motiver les élus municipaux. Au-delà de ce mandat de maire, j'ai aussi été conseillère municipale, conseillère régionale pour le pôle écologiste de la région Île-de-France avec un premier mandat dans la majorité et les deux autres dans l’opposition. Et donc je me suis retrouvée dans cette position d’élue d'opposition avec un certain nombre de choses qui m’ont frappée, choquée : des histoires de règlement intérieur, de CGCT… Et, j’ai trouvé qu’il y avait parfois un manque de considération car nous n’étions “que” des élus d’opposition. Je me suis retrouvée dans une autre situation: celle de l’intercommunalité qui se construisait et dans laquelle, très rapidement, j’ai soulevé un certain nombre de points qui pouvaient ne pas me convenir ou ne pas convenir aux habitants. J’étais donc à la fois à la tête d’un exécutif et opposante dans une intercommunalité. Je vois Denis qui sourit. C’est amusant car, avec Denis, nous n’étions pas du même bord mais pour autant nous avons souvent mené des combats ensemble car nous avions en tête l'intérêt général et des sujets sur lesquels nous pouvions travailler ensemble.

Le statut de l’élu :

Je tenais à rappeler ce contexte dans la chambre haute, celle qui représente les collectivités. L’idée n’est pas de faire une charge manifeste sur tout ce qui dysfonctionne mais de trouver des solutions. On a ici, évidemment, beaucoup de débats au sujet des collectivités. On a ainsi déjà travaillé sur le statut de l’élu avec deux textes : l’un a été voté au sénat mais pas à l’assemblée et l’autre a été présenté à l’assemblée nationale mais n’a pas été voté car il y a eu la dissolution. Ces textes traitent de manière parcellaire la question du statut de l’élu, en le traitant d’une façon surtout orientée vers les chefs de l'exécutif : les Maires, les Présidents de Région ou de Département. Néanmoins, tout n’est pas à jeter dans ce texte. J’en attends un certain nombre d’avancés pour ce qui concerne l’ensemble des élus municipaux: les frais de transports, l’extension du distanciel pour certaines réunions, l’obtention de congés supplémentaires en cas de campagnes. (c'est-à-dire ce qui relève des campagnes municipales ou des obligations du mandat). Un volet sur la sécurité des élus avait été discuté afin de durcir les peines pour les faits de violences commises à l’encontre des élus et d’améliorer l’accompagnement des victimes. Tout récemment, on a eu un travail à la DCT (délégation des collectivités territoriales) sous la forme d’un rapport qui porte à la fois sur l’amélioration du fonctionnement des conseils municipaux et sur la réduction du nombre de conseillers municipaux. C’est un texte qui a été présenté il y a deux jours mais qui n’a pas été voté. Il s’agissait d’un texte complexe parce qu’il y avait, à la fois, de vrais débats sur l’ensemble des bancs de l'hémicycle mais en même temps cette idée de devoir réduire le nombre de conseillers municipaux sous prétexte d’une crise des vocations (sur laquelle nous reviendrons plus tard) et d’un désengagement des citoyens. Je pense que ce n’est pas la bonne solution. Nous avons, au contraire, besoin de représentants pour la démocratie locale. Les débats à ce sujet étaient intéressants : de nombreuses personnes se sont interrogées afin de savoir quelle était la bonne solution. Bref, un certain nombre de textes pleuvent, et c’est ici, dans cette chambre, que nous essayons d'améliorer les choses. L’objet de ce colloque m’est venu pendant la campagne des sénatoriales. Il fait écho aux discussions que j’ai eues pendant cette campagne où j’ai pu rencontrer de nombreux élus municipaux et de nombreux maires. Je me suis entretenue avec des membres d’AELO, dont Yvon Rosconval et Isabelle qui était, d’ailleurs, sur ma liste pour les sénatoriales. Mais l’idée du coloc nous est venue avec Yvon car nous nous sommes rendus compte que, en général, on écoutait beaucoup les exécutifs mais peu les élus d’opposition.

Ce que j'entendais, c'était une petite musique, un malaise que j'avais moi-même perçu. Il est donc important, aujourd’hui, de se concentrer sur l’amélioration du fonctionnement des conseils municipaux et plus précisément de leur gouvernance. Il s'agit de trouver des moyens pour permettre à un élu qui souhaite s’investir pour sa commune, qu’il soit de la majorité ou non, de s’engager pleinement ; sans se retrouver dans des conflits internes liés simplement au fait de pas appartenir à la même liste ou d’avoir des désaccords sur certains sujets. Il arrive également de faire partie de la majorité et, pourtant, de se sentir comme dans une « chambre d’enregistrement » ; une situation qui s’est aggravée avec l’essor des intercommunalités. Cela peut donner l’impression de ne pas vraiment comprendre son utilité. Peu à peu, la motivation qui avait poussé à s’engager peut s’éroder.

Enfin, en termes d’organisation, certaines personnes vous ont distribué un QR code qui mène à certains "slide". Pendant les débats, si vous le souhaitez, vous pourrez flasher ce QR code et répondre aux différentes questions interactives. La première question concerne la taille de votre commune car nous avons constaté que ça influence la manière dont les choses se déroulent.

Je vais maintenant vous présenter les intervenants. L’objectif est de dresser un état des lieux de la démocratie locale et du fonctionnement des assemblées municipales. Il me semble important d’objectiver les choses, notamment lorsqu’on parle de « crise » des vocations. On entend souvent ce terme, mais est-ce réellement une crise ? Pourquoi en parle-t-on ? Actuellement, quels sont les chiffres et les missions des mandats locaux ? Car il convient dans un premier temps de bien comprendre les défaillances des mandats locaux.

L’idée est donc d’avoir une approche objective pour ouvrir des pistes d'amélioration et formuler des préconisations plus tard. J’aimerais que nous puissions, ensemble, mener un travail constructif dans la durée afin de faire avancer les propositions déjà portées par les associations présentes aujourd'hui.

Table Ronde 1 : Démocratie municipale et fonctionnement des assemblées locales.

Je vais vous présenter nos deux intervenants :

Tout d’abord, Pierre Camus, docteur en sociologie. Il a soutenu une thèse sur la formation des élus locaux en France entre 1880 et 2020, un sujet de grande envergure. Il enseigne à l’Université de Nantes et est également co-auteur d’un ouvrage à paraître intitulé: La formation des agents publics locaux et des élus locaux en Europe. Cet ouvrage offre une perspective comparative entre 33 pays européens. Pierre Camus est également président de l’Observatoire national de la formation des élus locaux.

À ses côtés, nous avons Solène Le Monnier, conseillère municipale à Berric, et membre de l’Union nationale des élus locaux. Elle a rédigé un rapport sur la démission des élus locaux, en particulier ceux sans délégation, en menant une enquête sur les causes de ce désengagement et les raisons qui sous-tendent ce phénomène.

Chacun de vous aura 10 minutes pour intervenir, puis, nous rebondirons sur vos propos. Je tiens à ce que nous respections strictement le temps imparti car nous souhaitons vraiment échanger avec le public par la suite. C’est l’un des avantages de cette salle qui permet des interactions directes et constructives.

Je vais donc maintenant laisser la parole à Monsieur Camus. Vous avez souligné, dans vos travaux, le sentiment d’une crise démocratique très marquée à l’échelle locale. Pourriez-vous nous aider à poser le cadre de notre discussion de ce matin en caractérisant cette crise et en nous expliquant comment elle touche les conseillers municipaux d’un point de vue sociologique ?

Pierre Camus : Merci beaucoup, Madame, pour cette invitation qui nous amène à discuter d’un sujet assez complexe. En effet, dans l’intitulé de ce colloque, deux thématiques sont soulevées : celle des conseillers municipaux sans délégation et celle de la crise démocratique, un concept polysémique, qui, du point de vue sociologique et des sciences politiques, ne fait pas consensus.

Avant de passer la parole à Solène qui pourra nous donner des exemples concrets et incarnés de conseillers municipaux sans délégation, j’aimerais présenter un état de l’art sur la notion de crise démocratique en sociologie et en sciences politiques et comment on peut la caractériser. Lorsqu’on parle de "crise démocratique", on fait généralement référence à un processus de dégradation tendancielle d’exercice des mandats. Aujourd’hui, on a des tendances lourdes qui se manifestent de différentes manières. On pourrait les synthétiser en trois points principaux :

  1. La complexification de l’exercice des mandats.

  2. Le renouvellement du rapport des élus à leur mandat.

  3. Le renouvellement du rapport des citoyens aux élus.

Ces trois dimensions permettent de comprendre comment la situation actuelle des mandats électoraux évolue.

Premièrement, la complexification des mandats :
Il s’agit d’une tendance lourde qui transparaît souvent par l’évocation que nous avons en sciences politiques de ce qu’on appelle “la fin des notables”. Il est loin le temps où l'on s’investissait dans l’action municipale pour l’honneur et bénévolement. Les élus sont désormais poussés à devenir des entrepreneurs de politique publique et doivent s’assurer d’une certaine maîtrise des sujets sur lesquels ils interviennent, dans un contexte beaucoup plus normé et technique. De plus, les élus doivent se coordonner avec un certain nombre de strates, ce qui devient de plus en plus complexe, notamment du fait de l’intercommunalité. De ce fait, il existe un "coût d’entrée" élevé pour la gouvernance au niveau local, même pour celles et ceux qui seraient les moins investis. D’un point de vue structurel, avec la décentralisation un peu tacite et progressive qui se déroule aujourd’hui, les collectivités ont reçu de plus en plus de compétence notamment sur des sujets éminemment difficile : les transitions écologiques, démocratiques, le logement, le vieillissement de la population, le développement urbain, dans un contexte où les lois et réglementations comme le ZAN (Zéro Artificialisation Nette) évoluent en fonction des changements de gouvernement. On a à la fois une complexification par la multiplication des enjeux et un renforcement de la complexité des enjeux eux-mêmes.

D’un point de vue plus conjoncturel, on a des élus qui sont pris dans des injonctions de plus en plus contradictoires avec une dégradation des services publics, une diminution des budgets locaux et une population qui a des besoins croissants. Il en résulte un sentiment de perte du pouvoir d’agir. Par conséquent, incarner ce rôle d’élu local sans délégation correspond finalement à quelque chose de flou mais assez exposé alors que les choix sont pourtant pris par l'exécutif politique.

Deuxièmement, le renouvellement du rapport des élus à leur mandat :
Aujourd’hui, les élus ne s’engagent plus comme leurs aïeux. La vision n’est plus vocationnelle mais plutôt fondée sur un projet. Ainsi, ces élus font des arbitrages en faveur de leur vie personnelle ou professionnelle plutôt qu’en faveur mandat. Il y a des sorties de mandat qui sont intrigantes dans le sens où le mandat est de moins en moins vécu comme une priorité. C’est également ce qu’on voit se jouer au sein du monde associatif. Cela n’est pas un hasard. Le déclin du modèle vocationnel traditionnel est lié à celui des grandes structures telles que les structures syndicales, dont le rôle était justement de produire des militants pour ensuite les amener à prendre des responsabilités locales. A défaut de pouvoir compter sur ce genre de profils lors de la constitution de listes électorales, et bien, on se tourne vers d’autres personnes (qui vont correspondre plus ou moins à ce qui est attendu) pour constituer les listes. On a ainsi beaucoup de personnes qui viennent du milieu associatif, c'est-à-dire de “la société civile”, et qui demandent un renouvellement des pratiques. En effet, faute de loyauté forte, ces nouveaux élus auront bien moins de mal à terminer leur mandat si de trop grandes difficultés interviennent.

Tout cela se joue dans un contexte où la géographie des lieux fait se disjoindre les espaces d’habitation et de travail, ce qui éloigne l’élu local et participe à une forme de désintérêt.

Troisièmement, le renouvellement du rapport des citoyens aux élus :
Au-delà d’un désintérêt, dans un paysage institutionnel extrêmement difficile à lire, face à une paupérisation et à une dégradation des services publics, la mairie demeure l’une des dernières autorités publiques de proximité et devient le dernier guichet visible où l’on peut entrer pour faire valoir ses plaintes. C’est la raison pour laquelle on pose aujourd’hui l’hypothèse très forte que ce phénomène conduit à la montée de la violence entre les élus et les citoyens. Ce n’est pas forcément nouveau mais (à niveau de violence constante) les élus acceptent de moins en moins cette violence. On constate également un effritement de la légitimité de la fonction d’élu qui a pour effet de réduire les rétributions symboliques traditionnelles en avantages tels que la notabilité, le pouvoir d’agir, le sentiment d’utilité… Une réduction qui affecte en premier lieu ceux qui en dispose le moins : les conseillers municipaux sans délégation. Il existe également un manque de rétribution matérielle qui induit un fort sentiment de difficulté pour les élus.

Dans ce contexte, le rôle du conseiller municipal sans délégation est de plus en plus paradoxal. Le mouvement électif local supposerait un engagement de plus en plus important dans une action locale, plus précisément une action locale technique qui suppose d’avoir du temps pour se former. Et bien, afin d’avoir des élus capables d’accepter ces contraintes grandissantes, il faut des rétributions symboliques à défaut d’en avoir des matérielles (pour faire rentrer les vaches à 6h le matin par exemple). Cette dynamique complexe (qui va bien au-delà du présidentialisme incarné par la figure du maire) est un peu rédhibitoire s’agissant de l’investissement au niveau local.

Ces trois éléments permettent de mieux comprendre les défis actuels que rencontrent les élus locaux. Ils se retrouvent souvent pris entre des responsabilités croissantes et des ressources en diminution, tout en devant répondre à des attentes citoyennes de plus en plus importantes. Je vais maintenant laisser la parole à Solène Le Monnier qui pourra nous donner des exemples concrets de situations vécues par des conseillers municipaux sans délégation.

Ghislaine Senée : Solène Le Monnier, vous avez écrit un rapport sur la situation des élus sans délégation. Que pouvez-vous nous dire sur cette violence vécue et pouvez-vous nous expliquer quel est aujourd’hui l’état de la démocratie locale ?

Solène Le Monnier : Je fais partie de cette nouvelle génération d'élus qui est arrivée en 2020, pleine d’envies, pleine de projets. Au départ, j’étais adjointe mais je me suis vite rendue compte que je n’avais aucune notion de ce que signifiait être élue locale car je n’avais aucune connaissance de comment cela fonctionnait. La première chose dont je me souviens, c’est un conseil municipal où il a fallu aller très vite, sans savoir très bien à quoi tout correspondait. On a pas été formés, on a pas été informés. Et après, on a été lancés alors même que le maire lui aussi découvrait car il était précédemment élu d’opposition. On découvrait les choses et on s’est vite rendus compte des barrières qui existaient. On s’est rendus compte également de toutes les fausses idées qu’on s’était faites en voulant mener à bien nos projets : les compétences étaient aux intercommunalités et on avait pas la main sur plein de choses. C’était un peu décourageant mais je me suis accrochée. Il s’est passé des choses au sein de mon conseil municipal que je n’ai pas l’intention de détailler ici, mais en tout cas, j’ai perdu mes délégations et je me suis retrouvée conseillère d’opposition. Alors là, je me suis rendue compte que, clairement, je ne servais plus à rien. Si ce n’est venir en conseil municipal pour voter des délibérations dont je ne savais rien, des projets dont je ne savais rien et des subventions concernant des projets auxquels je n’avais pas participé (avec des décisions aussi mineures que de me battre pour le nom d’une rue). L’intérêt de mon mandat est alors devenu très limité pour moi et j’ai envisagé de démissionner.

Cependant, j’ai fait le choix de rejoindre un réseau, celui des femmes élues, un réseau d’élues locales. Et, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à vivre ça, que le problème ne venait pas forcément de moi mais du fonctionnement du conseil municipal. J’ai pu partager mes expériences, notamment sur le fonctionnement interne des conseils municipaux, et témoigner sur des violences internes que j’ai subies. J’ai même été reçue à Matignon pour en parler et proposer des solutions, notamment concernant la création de référents en gendarmerie pour les élus. Car il est parfois difficile pour un élu de porter plainte dans sa propre circonscription alors que la gendarmerie travaille en étroite collaboration avec la commune. Depuis, des référents ont été mis en place pour traiter ces situations.

Ensuite, j’ai recueilli des témoignages d’hommes élus, ce qui m’a permis d’élargir mon horizon. Au début, je pensais que les femmes étaient les seules à subir un mal-être dans l’exercice de leur mandat mais je me suis rendue compte que les hommes aussi éprouvaient des difficultés. J’ai donc commencé à leur poser des questions pour mieux comprendre la situation.

C’est à ce moment-là que les chiffres sur les démissions des élus municipaux ont été publiés et j’ai été interpellée. Dans le Morbihan, par exemple, il y a 264 communes, et trois maires ont démissionné. Mais ce qui m’a frappée, c’est qu’en réalité, 267 conseillers municipaux avaient également démissionné, et pourtant, les gros titres ne parlaient que des maires. Je me suis alors demandé pourquoi on se focalisait uniquement sur les démissions des maires et non sur celles des conseillers municipaux, qui sont pourtant beaucoup plus nombreuses.

Cela m’a poussée à frapper à des portes et c’est ainsi que j’ai rencontré Jacques Le Nay, qui a pris la parole aux questions gouvernementales la semaine suivante pour soulever la problématique du mal-être des élus locaux. À l’époque, c’est Olivier Véran qui a répondu, en expliquant que la solution résidait dans la mise en place de la protection fonctionnelle pour les élus. Mais, de mon côté, je ne dormais pas de la nuit après cette réponse car je trouvais qu’elle était totalement déconnectée de la réalité.

Le lendemain, j’ai donc écrit un courrier au Président de la République, dénonçant le mal-être des conseillers municipaux. J’ai été reçue à l’Élysée où on m’a répondu que j’avais raison et que mes observations étaient pertinentes mais que, seule, je ne serai pas entendue. C’est ainsi qu’est née l’Union nationale des élus locaux, une organisation qui porte la voix de ces élus oubliés, tant dans les médias que dans les discussions au sein du Sénat, de l’Assemblée nationale, et du gouvernement. On ne faisait jamais mention des conseillers municipaux alors que nous sommes le plus grand panel des élus de la République. En effet, sur les 560 000 élus locaux, plus de 480 000 sont des conseillers municipaux. Aujourd’hui, plus de 29 000 conseillers municipaux ont démissionné de leur mandat, ce qui soulève de sérieuses questions sur les raisons de ces départs.

Dans mon rapport, je me suis attachée à identifier les causes de ces démissions. Ce qui revient le plus souvent, peu importe la formulation, c’est le sentiment d’inutilité. Beaucoup d’élus finissent par se dire : "À quoi bon s’engager si je ne peux pas agir ?" Ils s’engagent pour faire bouger les choses mais se retrouvent empêchés d’agir et ne veulent plus continuer à se battre ou à perdre leur temps, surtout avec le sentiment d’avoir une responsabilité et de rien pouvoir en faire. Pourquoi se retrouve-t-on à ne pas pouvoir agir ? En approfondissant cette question, deux choses sont apparues. D’une part, il y a cette nouvelle génération d’élus qui veut agir mais se retrouve bloquée. D’autre part, nous sommes freinés par un système qui a évolué pour simplifier et accélérer les processus administratifs. De plus en plus de lois et d’articles ont été ajoutés au Code général des collectivités territoriales et les pouvoirs de l’exécutif ont été renforcés pour rendre les décisions plus rapides.

En ajoutant à cela l’arrivée des intercommunalités, qui ont pris en charge de nombreuses compétences autrefois détenues par les communes, les conseils municipaux ont de moins en moins de raisons de délibérer. Aujourd’hui, l’exécutif n’a quasiment plus besoin de solliciter l’avis du conseil municipal pour valider une décision. Si on enlève la raison d’être de ces délibérations, le rôle même du conseiller municipal est fortement affaibli. Or, si on enlève le débat, on enlève une grande partie de l’intérêt de participer à un conseil municipal. La question à se poser est donc : comment rééquilibrer un peu les pouvoirs sans déposséder le maire ? Le maire reste essentiel pour trancher lors des débats Il doit également représenter la commune au sein de l'intercommunalité car de nombreuses décisions se prennent désormais à ce niveau.

Nous ne voulons pas nous passer du maire mais il est crucial de préserver les communes et la diversité des opinions au sein des conseils municipaux. Nous sommes au plus près des citoyens. Les citoyens y sont attachés et cela nous permet aussi de comprendre leurs préoccupations pour les rapporter plus haut. L'enjeu est donc de trouver un équilibre entre la simplification administrative et législative d’une part et d’autre part, l’humain, car lorsque nous nous engageons, nous avons besoin d’une raison d’agir et de sentir que nos actions ont un impact.

Ce besoin de reconnaissance n’est pas une demande de gloire ou de médiatisation. On aime bien d’ailleurs parfois conserver notre anonymat. Nous souhaitons simplement la satisfaction d’avoir mené un projet à bien ou davoir contribué à quelque chose de concret. Aujourd'hui, même cela devient difficile à réaliser. C’est là que réside le véritable défi.

Il y a également des problèmes concrets liés à la gouvernance interne. Le pouvoir s'est concentré, parfois au détriment de la démocratie locale. Cela peut donner lieu à des dérives où des élus deviennent autoritaires, imposant leurs décisions, coupant les micros en conseil municipal, bloquant l’accès aux documents ou aux réunions, voire même en interdisant la participation à certaines instances.

C’est quelque chose qu’on peut travailler par la formation. La formation des élus est cruciale, voire primordiale. Si nous ne formons pas correctement les élus sur leur rôle et leur pouvoir, nous continuerons à favoriser un mal-être dont découle le désengagement.

Pierre Camus, en réaction à ce qui vient d’être dit : Pour revenir sur une chose qui est importante à comprendre : dans le domaine des sciences humaines, il est souvent difficile de mener des recherches approfondies sur les élus municipaux, en particulier sans délégation. Cela est dû au grand nombre d’élus, à la complexité et aux coûts importants que nécessitent ces enquêtes. De plus, nous, en tant que chercheurs, avons parfois des idées préconçues qui nous conduisent à penser que les élus municipaux, surtout ceux sans délégation, sont définis par le manque. Ils ont peu de temps, peu de responsabilités ou reçoivent peu ou pas d’indemnités. Alors qu’en réalité, les élus locaux et plus particulièrement les conseillers municipaux, représentent une diversité de situations et vivent leur mandat de manière très différentes.

La plupart des études se concentrent sur ceux qui se forment ou qui occupent des positions visibles, tandis que ceux qui ne se forment pas ou qui restent en retrait sont plus difficiles à analyser. Or, les élus qui se forment le moins sont les élus sans délégation, ce sont donc ceux qu’on retrouve le moins. Il est toujours plus compliqué de les analyser. On les analyse parfois en creux afin de comprendre les raisons qui poussent certains à ne pas s'engager davantage. Malgré tout, des travaux existent, notamment ceux d’Éric Kerrouche qui a réalisé plusieurs enquêtes sociologiques sur les élus municipaux, mais c’est à peu près tout ce qui existe aujourd’hui.

Effectivement, l'un des aspects les plus problématiques aujourd'hui est le caractère "présidentialiste" du conseil municipal, influencé par le modèle de la Ve République en France. Le maire est perçu comme devant être capable de tout gérer seul, ce qui met dans l’ombre les autres élus qui font pourtant vivre la collectivité. Ce modèle atteint toutefois ses limites, comme en témoignent les cas de burn-out ou de démissions parmi les maires. Nous voyons que c’est une population qui est sujet à l’épuisement et au burn-out.

Les adjoints, quant à eux, se trouvent souvent dans une situation intermédiaire. Selon les collectivités leur rôle peut changer radicalement. Leurs responsabilités varient, mais ils doivent constamment arbitrer entre leur vie professionnelle, familiale et élective. Ce n’est pas une situation simple et aujourd'hui, beaucoup privilégient leur vie personnelle et professionnelle. Il devient de plus en plus difficile de se projeter dans une perspective de mandat enviable dans le futur. Il y a plus de tensions, de violences, et un engagement électif qui semble moins gratifiant.

Les conseillers municipaux, eux, sont parfois réduits à une simple fonction d’approbation lors des conseils. Ils arrivent aux réunions, sont informés des dossiers sans forcément bien en connaître les détails, votent sur les budgets, mais n'ont pas toujours la capacité d’agir de manière significative et sont bien embêtés de devoir expliquer les projets sans forcément les connaître. En quête de sens, cette situation accentue un certain malaise chez eux. La question de réduire le nombre de conseillers municipaux peut se réfléchir car elle pourrait permettre de lutter contre l’absentéisme et faciliter la constitution de listes. Toutefois, que faire ensuite des maires et des adjoints ? Limiter le nombre des conseillers municipaux risquerait d’accentuer les problèmes vécus par les maires et les adjoints qui n’auraient plus de collègues sur qui se reposer. La diminution du nombre pourrait entraîner un effet pervers : un manque de représentation et une distanciation accrue entre les citoyens et leurs représentants locaux. Cela pourrait également fermer le mandat local et limiter les opportunités d’engagement, pour finalement réduire l’intérêt pour le débat politique au niveau local. Certaines choses pourraient être nuancées.

Pour résoudre ce problème, il faut que nous nous penchions sur un paradigme : la mise en débat de la situation des conseillers municipaux s’articule autour de l’idée ancrée que nous faisons face à une crise des vocations. Selon moi, elle existe mais elle n’existe que pour parler du renouvellement dans la manière dont les élus s’engagent dans le mandat. Cela correspond bien à une crise du modèle vocationnel mais ne suppose pas qu’il y ait une crise de l’engagement. Il ne s’agit pas d’une simple crise de renouvellement des élus mais d'une remise en cause plus profonde du modèle traditionnel d'engagement.

Au contraire, l’Observatoire de la Démocratie de Proximité avait annoncé en 2018 qu’un maire sur deux ne se représenterait pas en 2020 : nous n’avons absolument pas assisté à ça. En 2014, le bureau des élections du ministère de l’intérieur annonçait 925 000 candidats. En 2020, on en a eu 902 000. Rapporté au nombre de communes, il y a eu environ le même nombre de candidats. Il y a donc un renouvellement dans la manière dont les élus s’engagent, vivent le mandat et l'appétence citoyenne pour celui-ci. Pour l’instant, on se maintient dans une forme de ratio plutôt fort, et qui est l’un des plus forts au monde: pour 1 candidat en France, on a 47 citoyens. Ce qui suggère qu'il est nécessaire de se concentrer sur l'encadrement et l'aménagement de l'exercice des mandats locaux plutôt que de s'attarder sur une supposée crise des vocations.

Je pense qu’il est pertinent de réfléchir à la confection d’un statut, et plutôt un statut souple, qui puisse s'adapter à la diversité des situations des élus qui n'appelle pas les mêmes solutions. Ce statut devrait inclure des mesures comme les indemnités, le droit à la formation, à la retraite, les congés et une meilleure reconnaissance des élus. Le danger étant d’adapter le statut au niveau du maire mais pas des autres élus. On pourrait redéfinir le rôle et la place du maire pour les transformer afin d'encourager une gouvernance plus collégiale qui impliquerait davantage d’élus et de citoyens dans un contexte de multiplication des dispositifs de participation citoyenne. Toutefois, il y a un paradoxe : cette multiplication des dispositifs de participation ne mène pas forcément à une réelle démocratisation de l’action publique.

Par ailleurs, il serait pertinent de redéfinir le rôle du conseiller municipal qui ne se limite pas seulement à voter lors des conseils mais apporte une contribution pleine et entière à sa collectivité dans la mise en œuvre des politiques publiques. Je voudrais pour finir vous partager une idée que je trouve intéressante et qui a été formulée par Clément Viktorovitch, un politiste français assez présent sur twitch : il faudrait renouveler l’exercice du mandat en dissociant le calendrier électoral du calendrier électif, c'est-à-dire de l’exercice du mandat. En clair, il s’agit de dissocier le moment de l'élection du moment de la prise de fonction du mandat. Cela supposerait qu’une fois élus, les élus disposeraient d’un temps ( une année, six mois…) pour se former, en allant voir les autres élus par exemple, afin d’effectuer un tuilage et d’être mieux formé à l’exercice du mandat et d’arriver opérationnel au moment de rentrer en mandat. Cela vaudrait aussi bien pour les députés et les sénateurs que pour les conseillers municipaux, régionaux, départementaux. Cela apporterait par ailleurs une pierre plausible à la limite du mandat dans le temps et apporterait une dimension plus pérenne et structurée aux personnalités politiques qui attendraient avant d’être rémunérées. Il faudrait modéliser et panéliser mais l’idée semble intéressante et ouvre sur bien d’autres.

Ghislaine Senée: Merci. Nous allons essayer de définir ensemble lors de la seconde table ronde ce qu’est un conseiller municipal. Concernant la question de la réduction du nombre de conseillers municipaux, elle a effectivement été abordée notamment par des sénateurs et sénatrices ayant été maires et affirmant que, globalement, le fonctionnement du conseil municipal est efficace. Ils pensent donc que cette réduction n’est pas souhaitable car cela signifierait, dans des conseils municipaux où tout se passe bien, de demander à deux conseillers de quitter le conseil. Il semble, par ailleurs, qu’il y ait une prise de conscience sur les relations entre les maires et leurs élus. Cette prise de conscience a mené à une réflexion sur la manière dont les maires interagissent avec leurs conseillers municipaux. Il semble, en effet, qu'il soit nécessaire de sortir d'un modèle de gestion très présidentialiste pour évoluer vers un mode de fonctionnement plus collégial. Il est important de reconnaître que la pratique et l’exercice du mandat posent des défis concrets. Il faudrait donc trouver des solutions pour répondre à ces problématiques. Je n'avais pas noté la solution de Clément Viktorovitch mais elle me paraît très intéressante. Solène, souhaitez-vous rebondir sur ce qui a été évoqué ? L‘idée n’est évidemment pas de parler des cas spécifiques car il s’agit d’éviter de personnaliser la discussion. Cependant, il est essentiel d’apporter des réponses collectives à ces difficultés afin de faire avancer les choses. L’idée de ce colloque consiste à en faire un fait politique afin d'apporter des solutions.

Solène le Monnier : Je souhaite rebondir sur le sujet du statut de l'élu. En écoutant toutes les propositions des différentes chambres, un point me semble particulièrement négligé : la dimension humaine. On est trop souvent centré sur des textes législatifs et des cadres administratifs, sans prendre suffisamment en compte l'humain derrière ces fonctions. On parle de VAE pour valider les compétences, de la retraite, de la protection fonctionnelle que l’on peut étendre aux conseillers municipaux, des droits de garde, etc… Tout cela est essentiel, bien sûr, mais il manque une réflexion plus profonde sur les nouvelles équipes qui arrivent en politique.

Nous assistons à des changements dans la société et au sein des conseils municipaux avec une nouvelle génération d'élus plus virulente, moins disciplinée, qui conteste et critique davantage. Cela reflète une transformation sociétale que l’on observe aussi au niveau de l'Assemblée nationale. Les conseils municipaux d’aujourd’hui sont différents de ceux qui existaient à une certaine époque, sans doute empreinte de davantage de respect. Les discussions sont plus combatives, les oppositions plus affirmées. De plus, la nouvelle génération est particulièrement attachée au respect de la loi.

Le plus grand défi est d’apprendre à travailler ensemble en équipe dans ce contexte de diversité et avec cette nouvelle génération. Ces élus viennent avec des habitudes, des codes issus de l’entreprise et imaginent une hiérarchie similaire en conseil municipal alors qu’elle n’existe tout simplement pas. On croit que l'adjoint est au-dessus et le maire au-dessus de tout le monde mais ce n’est pas le cas. Quand on a un problème, on s'adresse au préfet alors que ce dernier n’a rien à dire. C’est le réflexe. Pourtant ça ne fonctionne pas comme ça. Il faut former les élus pour éviter ces désillusions. Au sein du conseil, un chef d'entreprise doit accepter, par exemple, qu’un maire sans expérience managériale soit son égal. Inversement, le maire doit aussi savoir encadrer et impliquer tous les conseillers. Cela demande une véritable attention à la dynamique humaine au sein des équipes, souvent source de nombreux conflits internes.

Cette question renvoie à l’image de la politique locale, souvent perçue de manière très négative, en partie à cause de la violence politique que l’on voit dans les médias. La violence envers les maires notamment. Les gens hésitent de plus en plus à s'engager, car ils associent cette violence aux réalités locales. Cela affecte directement notre capacité à attirer de nouvelles personnes en politique. Une des problématiques a donc été de mettre la politique locale au même niveau que la politique nationale alors même qu’elle se pratique très différemment et qu’une telle comparaison a contribué à ancrer une image très négative de la politique locale. Par conséquent, il est urgent de travailler sur cette perception pour redonner envie aux citoyens de s’investir, en montrant tout ce qu’il y a de positif dans cet engagement. Personnellement, mon engagement en politique n’a pas forcément été très bien perçu et j’ai perdu énormément de contacts de ce fait. Ça n'intéresse plus les gens, ils ne veulent pas en parler et encore moins s’engager. Ils s’engagent différemment, souvent au travers d’associations, de syndicats mais ne veulent plus du mandat car celui-ci fait peur. Sans doute que l’on a pas réussi à valoriser suffisamment cette part d’humain, que l’on n’a pas réussi à communiquer tout ce qui peut être positif dans l’engagement au sein de la politique locale.

Ghislaine Senée:

Merci. C’est important ce que vous dites. Je pense aussi qu’il y a ce facteur exogène qui entraîne un regard très critique sur les élus et le discrédit de la parole politique. Parole assimilée à ce que les médias montrent de la réalité locale où l’on assiste parfois à de véritables batailles de chapelle. Je suis également d'accord avec Pierre Camus. Non seulement on peut parler d’une crise du modèle vocationnel mais aussi de l’image néfaste du mandat exercé par des personnes aux dents longues qui souhaitent absolument avoir du pouvoir. Pourtant, cette image ne représente pas vraiment les élus municipaux sans délégation. A titre personnel, ce qui m’a posé le plus de problèmes en étant maire, c’était de parvenir à porter des projets avec des personnes qui étaient là pour des raisons différentes et avec des niveaux d’investissement variables. En réalité, on a aucun pouvoir si ce n’est d’essayer de soulever l’enthousiasme autour de projets, si ce n’est d’inviter à participer à leur mise en œuvre. Ah! Je vois justement que mon ancienne conseillère municipale, Sylvie, vient d’arriver! Il est arrivé un moment où je me suis demandée : mais comment la motiver ? Je l’ai orientée vers des responsabilités au sein d’un syndicat. C’était une des réponses afin que chacun puisse trouver sa place. L’humain doit être présent. Il faut être à l’écoute. Les leviers ne sont pas les mêmes que dans l’entreprise. Il faut pouvoir respecter l’autre.

Solène le Monnier : Juste pour rajouter quelque chose; il y a aussi une réflexion à mener dès la constitution des listes électorales. Souvent, des personnes se retrouvent sur une liste par défaut, sans réelle motivation ou sur des listes constituées un peu rapidement ce qui peut créer des blocages par la suite. Il serait bénéfique d’impliquer dès le départ des personnes réellement engagées et prêtes à siéger activement. Lors du débat sur les conseillers municipaux, il y avait aussi ce débat sur le scrutin de liste, notamment dans les petites communes, pour encourager un engagement basé sur des valeurs communes et un vrai désir de contribuer. L'avantage du panachage c’est qu’on n’est pas sur une histoire de projet ou de liste mais sur une histoire d’engagement personnel ce qui permet à tout le monde d’y aller.

Ghislaine Senée: Alors là, je ne suis pas tout à fait d’accord! Il n’y a rien de pire, lorsqu’on monte une liste, d’avoir des gens barrés alors qu’il y avait un projet commun et des compétences. Et puis, l’acte de barrer me pose également problème. Nous allons regarder ensemble le sondage auquel vous avez répondu afin de voir le type de communes auquel vous appartenez.

Vous êtes majoritairement membres de communes comprenant entre 3000 et 5000 habitants ou entre 20 000 et 50 000 habitants. Donc plutôt de grandes communes, ce qui explique aussi votre disponibilité. Les communes de moins de 500 habitants ne sont pas représentées (la démotivation aura-elle eu raison d’eux ?).

Je vais vous demander également de contribuer à la rédaction d’un nuage de mots, c'est-à-dire de trouver un mot pour symboliser votre mandat après 4 ans d’exercice.

Questions

Anonyme 1 : Bonjour, je suis élu dans une commune de 13 000 habitants dans les Yvelines, représentant régional île de France pour l’association des élus locaux d’opposition et formateur d’élus d’opposition dans toute la France. Quelque chose m’étonne, que ce soient dans les deux assemblées ou dans ce colloque: on ne parle pas du nombre de communes en France. Il n’y a plus qu’en France qu’on a 5 niveaux en totalité : commune, intercommunalité, département, région et État. En Allemagne, il n’y a que 3 niveaux. En Angleterre, il n’y a que 3 niveaux avec entre 10 000 et 3 500 collectivités locales. La complexification des mandats, les injonctions contradictoires et les exigences normatives rendent effectivement difficile l'exercice du mandat dans des communes de petite taille. Je pense que ce que vous vous disiez sur la complexité du mandat pose la question suivante: Peut-on répondre aux exigences dans des communes de moins de 15 000 à 20 000 habitants? Ne serait-ce qu’en termes de services nécessaires et de compétences ? En parallèle, sur la question du rôle des élus d’opposition, que faire face à la prime majoritaire qui rend de toute façon les élus d’opposition complètement inutiles ? Troisième point, il n’y a pas de séparation entre l'exécutif et le législatif, ce qui limite l’espace pour une opposition significative, par rapport à d’autres pays où le conseil municipal n'est pas présidé par le maire. Cela pourrait effectivement offrir plus de latitude aux conseillers sans délégation et rééquilibrer les pouvoirs au sein des conseils municipaux.

Anonyme 2 : Bonjour à toutes et à tous. Je voulais d’abord remercier Madame la sénatrice, chère Ghislaine, et saluer l’intervention du duo que j’ai trouvé très équilibré et enrichissant. Contrairement à certains de mes collègues, je suis élue depuis 2014, d’abord dans la majorité, puis aujourd’hui dans l’opposition. Pour caractériser mon mandat d’opposition, j’ai mis les mots “violence” et “combativité”. J’aspire à ce que l’on puisse aussi soulever le sujet des comportements inacceptables de certains élus, et parfois même de certains maires, qui, installés dans leurs fonctions, développent un sentiment d’impunité.

Je fais partie d’une minorité municipale très malmenée mais qui résiste. L’une de mes propositions serait de pouvoir suivre et compter le nombre de plaintes et d’affaires signalées. En même temps, lorsque nous alertons le préfet, celui-ci semble souvent mal à l’aise pour intervenir même lorsque les délais d’envoi des dossiers ne sont pas respectés ou que des informations importantes ne sont pas communiquées. Nous en sommes même arrivés au point où les conseils municipaux ne sont plus diffusés tant le climat est tendu et parfois violent, ce qui nuit aussi à l’image du maire.

On nous sert toutes sortes d’excuses : l’absence du “chef”, des problèmes techniques, le wi-fi qui ne fonctionne pas... Nous avons tout entendu. Ma question est donc la suivante : serait-il possible de créer un baromètre qui permette de quantifier et d’objectiver les problèmes rencontrés ? Que ce soit en termes de plaintes, d’actes d’intimidation, ou de référés-liberté déposés pour non-respect des procédures, cela permettrait d’avoir un suivi concret. Ce sont des pistes que je souhaiterais explorer et proposer au débat avec mes collègues.

Anonyme 3 : Merci, élu municipal dans les Yvelines, dans une ville de 20 000 habitants. Je souhaite rebondir sur un point qui a été évoqué brièvement à deux reprises : le mode de scrutin. Comme Hector, j’ai un engagement professionnel et en tant qu’élu local, j’ai créé une association il y a deux ans : Démocratie Proportionnelle afin d’aborder cette question qui est très présente dans les débats médiatiques concernant les législatives. Cependant, ce sujet est rarement discuté à d’autres niveaux que celui de l’Assemblée Nationale alors qu’il est pourtant essentiel.

Nous avons cette fameuse prime majoritaire qui pose un vrai problème car elle crée une distorsion fondamentale de la représentation des électeurs. C’est un système quasiment unique à la France. Ce mécanisme, conçu à l'origine par les fascistes dans les années 1930 en Italie, a pour effet de limiter la représentation réelle du vote des citoyens, ce qui me semble inacceptable. Il me paraît donc indispensable de remettre en question ce mode de scrutin dans les années à venir.

Je propose qu’à tous les niveaux institutionnels, nous adoptions un scrutin proportionnel à un seul tour comme pour les élections européennes. Ce mode de scrutin donne un résultat qui, même si on n’est pas toujours d’accord avec les gagnants, reflète fidèlement le vote des citoyens.

Pierre Camus, en réponse : Sur le caractère autoritaire de la cinquième république, nous sommes tout à fait d’accord. Il est indéniable que la prime majoritaire pose problème. Nous avons construit un système de légitimation politique sur des principes majoritaires qui structurent aujourd'hui nos collectivités locales ainsi que notre gouvernement et qui créent une situation insatisfaisante pour beaucoup. Il est difficile de se projeter.

Pour les communes de moins de mille habitants, on a un scrutin de liste qui ne correspond pas à un système idéal. Le partage de compétences évolue et se complexifie au fil du temps et, depuis la réforme de 2015 avec la suppression de la clause de compétence générale pour les départements, les collectivités deviennent de plus en plus dépendantes des bonnes grâces des départements ou des régions pour avancer sur leurs projets. Cette perte d'autonomie freine le développement de projets communs et démocratiques au niveau local. Selon moi, il serait préférable d’évoluer vers un modèle de collectivités plus autonomes pour renforcer leur capacité à incarner véritablement les territoires.Ce millefeuille territorial peut incarner une vitalité démocratique mais il doit être stabilisé dans le temps pour permettre sa compréhension. C’est mon avis et il peut ne pas être partagé du tout.

Ghislaine Senée: Je vous le confirme… Et je pense que cette question des compétences, de la décentralisation et du millefeuille administratif sera probablement le sujet d’un futur colloque. C’est un enjeu sur lequel nous allons tous travailler et je serai ravi de continuer à échanger avec vous sur ce sujet.

Quant à la prime majoritaire, elle a fait l’objet de discussions, notamment dans le cadre de la Délégation aux Collectivités Territoriales et dans le cadre de la modification du scrutin de liste pour les petites communes. Au sein de cette délégation, j’ai exprimé le point suivant : si un scrutin de listes devait être instauré (ce que je soutiens malgré les difficultés que cela peut poser aux petites communes) il serait nécessaire de revoir cette prime majoritaire ; à défaut nous serions confrontés à un vrai problème de représentativité.

J’ai également abordé ce point avec Éric Kerrouche qui partage cette opinion. Il est d'accord pour dire que même si nous ne pouvons pas mettre en place ce changement immédiatement, c’est une réflexion à mener. D’ailleurs, nous travaillons également sur cette question ici au Sénat.

Solène le Monnier : Je tiens à préciser que, dans le cadre de l‘UNEL, j’avais contacté à plusieurs reprises le gouvernement et l’Assemblée nationale précédents, ainsi que le Sénat pour alerter sur le manque de démocratie locale. N'ayant obtenu aucune réponse, j’ai ensuite saisi le Conseil de l’Europe qui s’intéresse également à la question de la démocratie locale, notamment en France. C’est une information à noter : ce problème a été porté à l’attention du Conseil de l’Europe.

Pour revenir sur les violences internes aux conseils municipaux, il serait pertinent d'avoir un baromètre officiel. Cependant, lors de l’étude que j'avais partagée au début avec les instances concernées, nous avions déjà fait un relevé à partir de la presse locale des causes de démissions de conseillers. Il en ressortait principalement un phénomène que j’avais qualifié d’‘autocratie des maires. Cette expression a suscité des critiques ; certains m'accusant d’être anti-maire alors que ça n’est pas du tout le cas. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes. A partir de 90 articles de presse, nous avons relevé 497 démissions dues à des violences internes aux conseils municipaux. Ces chiffres, bien que observés sur une courte période, montrent une certaine tendance qui a probablement pris encore plus d'ampleur. Il est également possible de regarder les recours devant les tribunaux administratifs, qui sont relativement faciles à consulter, ainsi que les articles 40 déposés auprès des procureurs et les plaintes pénales. Ces données permettent de saisir l’ampleur de la situation sans avoir forcément besoin d’un baromètre formel.

Cela reflète les défis spécifiques de ce mandat post-COVID qui a été difficile à exercer, que l’on soit maire, adjoint, conseiller de la majorité ou de l’opposition.

Anonyme 4 : Merci beaucoup pour ce colloque, c’était très intéressant. Il était essentiel de prendre du recul sur la question. Je souhaite apporter une double approche, à la fois sociologique et de gouvernance d’entreprise.

En sociologie appliquée à la gouvernance d’entreprise, on observe cette évolution depuis les années 2000. Il me semble que l’on peut dresser des parallèles notables entre ce que l’on a appelé la 'révolution silencieuse' des conseils d’administration autour de 2003 et la nécessaire révolution tonitruante qui atteint aujourd’hui les conseils municipaux.

Comment la gouvernance des entreprises a-t-elle évolué ? En se basant sur trois leviers principaux :

  1. La législation, qui a été renforcée ; pourtant, certains maires autocratiques savent exploiter les vides juridiques.

  2. Le facteur humain, pour favoriser la collégialité, en développant des formations qui définissent les rôles, les devoirs et la posture des administrateurs, ce qui pourrait inspirer une meilleure structuration des conseils municipaux.

  3. Les outils, en dotant les conseils d’administration d’outils qui facilitent la circulation de l’information et des prises de décision équilibrées, pour garantir des projets réalisables et de qualité sur le terrain.

La différence avec les entreprises, comme l’a souligné Ghislaine Senée, tient au cadre, à l’environnement institutionnel, marqué par la question de la représentativité (scrutins de listes, par exemple) et le millefeuille de compétences. En augmentant les compétences et les enjeux sans cadre adapté, on risque de renforcer les tendances autocratiques, ce qui serait une voie sans issue.

Anonyme 5: Bonjour et merci pour ces interventions enrichissantes. Je précise que je ne suis pas élu mais que je dirige un organisme de formation pour les élus, "Le Tremplin." J’avais deux questions très concrètes sur des problématiques rencontrées tant par les citoyens que par beaucoup d’élus.

La première concerne la transparence des documents municipaux : l’accès aux délibérations, aux budgets, et aux autres documents administratifs. Serait-il envisageable d’ajouter un amendement pour rendre obligatoire la mise à disposition de ces informations, de façon plus accessible, pour tous les conseils municipaux ? Je travaille avec des secrétaires de mairie en milieu rural, et je sais bien que ce n’est pas simple. Souvent, on a affaire à des PDF de 600 pages, scannés et difficiles à lire. Il me semble essentiel de faciliter l’accès aux documents pour les citoyens et les élus.

Ma seconde question concerne la formation avant les élections. Je suis totalement convaincu de son importance, mais j’aimerais soulever une question en demi-teinte : est-ce qu’il ne pourrait pas y avoir un effet démotivant pour certains futurs élus si on leur donnait un aperçu très réaliste des défis à venir ? Serait-il possible de structurer cette formation de façon à maintenir la motivation des candidats tout en leur fournissant une vision juste du mandat ?

Anonyme 6 : Élue dans le nord des Yvelines dans une ville de plus de 50 000 habitants et également conseillère communautaire, je souhaite revenir sur le sujet de l'intercommunalité. Solène a mentionné que, lorsqu’elle était arrivée en conseil municipal, elle a pu constater que les dossiers structurants se décidaient plutôt à l’intercommunalité. Or, j’ observe un effacement encore plus prononcé des élus d’opposition notamment en raison de la prime majoritaire qui se cumule avec celle du niveau municipal.

Dans mon intercommunalité, par exemple, nous sommes six élus d’opposition sur 92, réduisant ainsi notre capacité d’influence à presque rien. Pourtant, on parle rarement des intercommunalités. Cela reste un impensé alors qu’elles prennent une place de plus en plus prépondérante et qu’elles posent des problèmes réels en termes de gouvernance démocratique. Dans certaines intercommunalités, on retrouve des élus de bords politiques opposés dans les bureaux exécutifs et des jeux de pouvoir délétères entravent certains dossiers.

Comme cela a été mentionné, si nous n’avons pas les bons contacts (notamment avec le conseil départemental) c’est souvent peine perdue pour faire avancer certains projets. Cette réalité est encore plus frappante au niveau intercommunal. Il est essentiel de réfléchir aux moyens de renforcer la démocratie locale à cet échelon qui devient de plus en plus important et reste pourtant trop souvent négligé.

Anonyme 7 : Je suis élu à Vincennes, une ville de moins de 50 000 habitants et également conseiller territorial. Mon groupe d’élus d’opposition constate une difficulté : dans notre conseil municipal, les sujets locaux passent souvent au second plan. Mon intervention se veut davantage un témoignage et une réflexion sur la manière d’encourager l'engagement des élus, particulièrement les jeunes et les étudiants.

Un premier problème, selon moi, réside dans les contraintes auxquelles les élus étudiants sont confrontés. J’ai moi-même été étudiant dans un établissement (pourtant proche de chez moi) où l’on est considéré absent si on manque trois séances de TD, ce qui est pénalisant. À titre d’exemple, un ami - élu adjoint dans un village rural - se rendait à Paris pour ses études et sa mairie lui proposait de couvrir ses frais de transport (je pense qui il était adjoint : s’il avait été dans l’opposition cela aurait été beaucoup plus compliqué). Ce type de situation dissuade beaucoup de jeunes de s’engager.

Ensuite, je m’interroge sur la manière dont on pourrait permettre aux élus sans délégation ou avec peu de moyens de s’investir davantage. Bien que je ne pense pas qu’un dédommagement mensuel de 1 000 ou 1 500 euros soit toujours nécessaire, j’ai souvent besoin d’un appui humain, notamment avant les conseils municipaux. Plutôt que de prévoir plus de 3 demi-journées d’absence, ce dont j’aurais vraiment besoin, c’est des moyens humains. C’est-à-dire une aide ponctuelle : quelqu’un pour préparer les dossiers, suivre les projets de manière approfondie 3 semaines avant le conseil municipal.

Anonyme 8 : Élue d'une commune de 6 500 habitants – donc une petite commune, j'ai une particularité. Elue sur la liste de la majorité, je l’ai quittée au bout de deux ans parce que ça devenait n’importe quoi. Donc, je suis maintenant dans l'opposition, toute seule. Et, c’est un peu compliqué du fait des pleins pouvoirs du maire et de ses adjoints. Au sein du bureau municipal, ils décident de tout sans consulter les autres élus. On n’a jamais les documents. On arrive en conseil et tout nous arrive d’un coup dans un projet déjà ficelé. Ce que je trouve pire encore, ce sont les décisions du maire en dernière page avec des montants importants – par exemple je viens de prendre connaissance d’une décision pour de la vidéoprotection à hauteur de 500 000 euros sans discussion ni document.

On a été obligés – alors que j’ai deux autres membres de l’opposition à mes côtés (mais d’une autre opposition) – de faire le forcing pour obtenir ces documents. Tout est caché... Je trouve que le maire et ses adjoints ont beaucoup trop de pouvoir. On a bien des commissions, mais en réalité, on ne nous écoute pas et tout est déjà décidé. En plus, on passe pour des râleurs lorsque l’on demande quelque chose ou quand on n’est pas d'accord. Je pense qu'il y a vraiment un sujet.

Anonyme 9 : Je suis conseiller municipal dans une commune de 17 000 habitants. Suite à une démission, je suis devenu récemment conseiller communautaire dans une intercommunalité de 230 000 habitants dans les Yvelines.

Je voulais aborder la question des démissions. On parle de 29 000 élus démissionnaires, ce qui représente 7 % sur un total de 400 000. C’est une réalité qui s’explique par la vie professionnelle, personnelle, familiale. C’est normal d’avoir un certain "turnover" dans les groupes.

Mais au-delà de ce constat, nous sommes ici pour avancer des propositions concrètes car le seul diagnostic ne suffit pas. J’aurais donc quelques suggestions. D'abord, commençons par le règlement intérieur qu’il faut compléter avec une charte de comportement applicable à tous les élus. Ensuite, je propose de s’inspirer des CHSCT qui imposent une formation collective tous les cinq ans. On pourrait ainsi inscrire dans la loi une obligation de formation pour tous les élus – majoritaires comme minoritaires – dans les trois mois qui suivent le début du mandat. Cela permettrait de dénouer les situations conflictuelles, de mieux se comprendre, de créer une culture commune et, d’une certaine manière, d’"huiler" les relations.

Catherine Candelier : Je voulais d'abord revenir sur ce qui a été dit plus tôt concernant le changement de profil des conseillers municipaux d'un point de vue sociologique. Personnellement, je ne suis pas entièrement convaincue par cette idée, mais c’est mon ressenti.

Ghislaine Senée: Merci pour ces interventions. Je vous laisse donc répondre brièvement à ces différents points.

Pierre Camus : En ce qui concerne la loi, elle impose aux élus recevant des délégations de se former durant la première année de leur mandat. Cette obligation existe bien mais il n'y a ni contrôle ni sanction pour s'assurer que cette formation est suivie, ce qui laisse aux élus une grande liberté. Cependant, cette règle est censée être appliquée.

En ce qui concerne la vision de la démocratie locale, j’observe une tendance qui me semble parfois un peu autoritaire. Cela se manifeste par une impression que les conseillers municipaux, notamment ceux de l’opposition, n’ont pas réellement leur mot à dire. On ressent une certaine violence symbolique et ce phénomène est de plus en plus présent. Il y a de nombreuses thématiques à aborder à ce sujet. Par exemple, une personne évoquait tout à l'heure le transfert d'outils issus du secteur privé mais qui ne s'appliquent pas de la même manière avec la même intensité dans les conseils municipaux de plus grande taille. Dans ces derniers, les partis politiques jouent un rôle plus important.

On peut utiliser tous les outils possibles mais on ne pourra pas dépasser la spécificité propre aux conseils municipaux dans lesquels le rôle du conseiller municipal d’opposition consiste souvent à devoir se battre pour des idées qui sont moins présentes dans sa commune. Un autre problème soulevé est celui de la transparence. Aux États-Unis, notamment en Floride, il existe une loi très intéressante appelée "Sunshine law" qui oblige les élus à être formés sur la transparence et la transmission des informations aux citoyens. En France, le Sénat a récemment évoqué les difficultés techniques relatives à la reconnaissance du statut de candidat ; notamment les droits à activer et les obligations à respecter durant la période très courte entre la déclaration de candidature et l’élection elle-même.

Cela me rappelle le modèle australien, plus précisément dans l’Etat du Queensland, où il y a une obligation de formation des candidats aux élections municipales sur une période de trois ans. Une fois élus, ces candidats doivent suivre un programme de formation pour améliorer leurs compétences professionnelles tout au long de leur mandat.

L’intercommunalité incarne plus de compétences mais crée un paradoxe. D’un côté, elle aspire à plus de pouvoir mais, d’un autre côté, elle éloigne les projets des territoires locaux.

L’absentéisme est également un problème plus courant parmi les élus qui ont moins de délégations ou qui appartiennent à des catégories sociales moins favorisées. Sanctionner cet absentéisme risquerait d’accentuer les inégalités sociales et de pénaliser certains élus qui, malgré leur engagement, rencontrent des difficultés personnelles ou professionnelles à suivre l’ensemble des obligations du mandat.

Solène Le Monnier : En fait, je pourrais parler de manière générale, notamment sur des aspects comme la présence des étudiants, la communication des documents, etc. Il y a déjà énormément de choses dans les textes de loi. On n’a pas forcément besoin de créer de nouvelles lois ; il faudrait simplement appliquer celles qui existent. C’est là que réside la principale difficulté : les textes de loi sont bien présents mais personne ne surveille leur application et personne ne contrôle. La loi n’est pas appliquée mais ce n’est pas pris en considération.

Par exemple, l'article 2122-23 du Code général des collectivités territoriales précise que le maire doit rendre compte à chaque conseil municipal des décisions prises via la délégation qui lui a été consentie et communiquer les documents s’y rapportant comme pour n’importe quelle délibération. Cependant, il n'y a pas vraiment d'injonction ou de sanctions prévues si une telle disposition n’est pas respectée. Il s’agit simplement d’une d’une obligation. Si un maire n'a pas envie de communiquer les documents, il ne le fera pas, même s’il reçoit un courrier de rappel. Ce courrier finira probablement à la poubelle avec le reste. Ni la CADA ni le préfet n’ont de pouvoir de sanction seulement d’injonction.

Il faudrait travailler sur cet aspect avant de songer à légiférer davantage. Il serait plus pertinent de réfléchir à comment on peut réellement appliquer et surtout contrôler l'application des lois existantes.

Ghislaine Senée : Je voulais simplement ajouter une remarque sur le fonctionnement de l’intercommunalité. Lors des auditions sur l’amélioration des conseils municipaux et intercommunaux, il a été précisé que c’était une priorité du président de la commission d’engager un réel dialogue avec les élus municipaux et d’aller au-delà du simple constat. Des pistes sont actuellement à l’étude pour permettre aux élus municipaux de mieux participer aux commissions intercommunales et de renforcer ainsi leur implication dans la gouvernance intercommunale.

Concernant l’engagement des étudiants, le Sénat a récemment avancé sur cette question dans le cadre du statut de l’élu. Désormais, il est possible d’accorder des autorisations d’absence pour participer aux réunions et aux conseils municipaux. Cela représente une avancée même si des aménagements pourraient encore être envisagés. Je vous propose maintenant de passer à la deuxième table ronde. J’espère que vous n’êtes pas trop fatigués et que nous pourrons continuer ces échanges enrichissants.

Tables ronde 2 : L’amélioration des conditions d’exercice des mandats : entre nouveaux leviers d’action pour l’ensemble des élus et nouvelle gouvernance.

Ghislaine Senée : Nous accueillons maintenant M. Yvon Rosconval et Catherine Candelier. Nous avons abordé le sujet des qualifications et du mandat. Nous avons dressé le constat de beaucoup de frustrations, de déceptions mais également de détermination. Cela montre qu'il reste, malgré tout, une vraie envie de s’investir pour le bien commun et l’intérêt général. Je ne suis pas trop inquiète sur cette question de la crise des vocations. Je pense que nous sommes nombreux à vouloir nous investir et à chercher des solutions pour que les choses avancent dans la bonne direction.

Madame Candelier est présidente de la Fédération des élus/es verts et écologistes (FEVE) depuis août dernier, conseillère municipale de l’opposition dans une ville des Hauts-de-Seine depuis de très nombreuses années et ancienne conseillère régionale d’Île-de-France. Monsieur Yvon Rosconval est conseiller municipal à Triel-sur-Seine et fondateur du collectif 78 des élus locaux minoritaires. Vous travaillez tous les deux sur les questions du statut de l’élu et de la démocratie locale. L’objectif de cette table ronde sera d’envisager des solutions et, par la suite, de discuter des différentes propositions qui auront été formulées. Catherine, peut-être souhaites-tu dans un premier temps intervenir pour redéfinir le rôle d’un conseil municipal dans un contexte global de dégradation de la démocratie.

Catherine Candelier : Je remercie Ghislaine et son équipe pour ce colloque qui nous permet de faire une pause et d’échanger même si nous n'avons pas les mêmes opinions politiques. En tant que conseillers municipaux sans délégation, nous faisons souvent face aux mêmes difficultés.

Je vais me présenter rapidement même si cela a déjà été fait. Je suis conseillère municipale à Sèvres, dans les Hauts-de-Seine, un département similaire aux Yvelines et bien connu pour ses pratiques très démocratiques (je fais beaucoup d’humour, n’hésitez pas à le noter!). J’exerce ce mandat depuis longtemps. Pour être précise: depuis 2001 sans interruption. J’ai aussi une expérience antérieure, datant du siècle dernier. J’étais déjà conseillère municipale à Sèvres dans l’opposition entre 1989 et 1992. À cette époque, j’étais la plus jeune élue d’opposition en Île-de-France. Donc oui, j’ai acquis un peu d’expérience.

Ce que je voudrais ajouter en complément au titre du colloque: "Rôle et place des conseillers municipaux", c'est la notion “d’utilité”. Si on commence par définir l’utilité d’un conseiller municipal, on pourra ensuite lui attribuer facilement un rôle et une place dans le fonctionnement démocratique. Je sais que certains collègues autour de la table peuvent être découragés ou fatigués. C’est bien normal... Nous sommes à un moment où il est important de se remotiver. Qu’est-ce qu’un conseiller municipal finalement ? C’est d’abord une personne qui s’engage au service de l’intérêt général et de ses concitoyens. Cela peut paraître évident mais il est bon de le rappeler. Cet engagement est souvent bénévole car nous sommes peu nombreux à être indemnisés. Notre engagement est donc désintéressé et nous ne comptons pas nos heures.

Quand on se présente à une élection, c’est sur un projet, des idées et des ambitions pour sa commune. Il est important de ne pas oublier la vision du territoire que nous avons développée avant d’être élus. Ce projet, il faut le conserver. Il nous portera pendant les six années de mandat.

J’ai entendu Solène parler d'engagement personnel tout à l’heure. Je pense que notre engagement est lié à ce projet que nous avons à défendre. De plus, le terme "conseiller municipal" doit être remis dans son sens premier : nous sommes là pour conseiller le maire. Nous sommes élus au même titre que lui et représentons nous aussi les citoyens. Nous sommes des experts de notre territoire.

Je me plais souvent à le rappeler à mon maire (de façon un peu provocante) et en profite pour lui expliquer qu’il n’est pas mon supérieur hiérarchique. Nous sommes élus par la population pour faire le même travail et défendre des propositions. Si nous ne sommes pas d’accord, nous discutons… mais avec respect et sans condescendance, ce qui est parfois difficile à faire comprendre.

Notre rôle est multiple : nous sommes les relais des préoccupations de nos concitoyens et nous devons être force de proposition au conseil municipal pour faire entendre ces préoccupations. Nous avons aussi un rôle d’information envers nos concitoyens sur ce qui se passe au sein du conseil municipal. Enfin, nous avons un rôle de contrôle, comme cela a été mentionné plus tôt. Sans les conseillers municipaux, il n’y aurait aucune transparence dans la gestion des affaires publiques locales.

En somme, nous sommes des acteurs essentiels de la démocratie, de la transparence et de la bonne gouvernance au niveau local. Quant au cadre légal, le Code général des collectivités territoriales résume notre rôle en une seule phrase : “Le conseil municipal, par ses délibérations, règle les affaires de la commune”... mais au fond, pas beaucoup plus! En réalité, nous n'avons qu'un seul devoir qui nous est imposé par la loi : ouvrir un bureau de vote. Si jamais nous refusons, nous sommes démis de nos fonctions. Il existe une autre obligation qui ne figure pas dans le code général des collectivités territoriales mais découle de notre position d’élu. Il s’agit de l’obligation de signaler certaines infractions via l’article 40 du code de procédure pénale. Fort heureusement, ça n’arrive pas tous les jours!

Nous avons également des droits : accès à l’information pour comprendre ce que nous votons, possibilité de s’exprimer, de poser des questions, de déposer un vœu, avoir un espace d’expression dans les publications de la ville, un local et d’accéder à des formations. En dehors du CGCT, on peut aussi saisir le préfet pour un contrôle de légalité. En dernier recours, il est possible d’aller au tribunal administratif contester une délibération. Notre droit d’agir en tant qu’élu est immédiat et reconnu sans nécessité de démontrer un intérêt particulier.

Voilà pour la théorie! Mais dans la pratique, les choses sont beaucoup moins simples… Tous ces droits sont encadrés et parfois de façon restrictive par le règlement intérieur du conseil qui est voté au début du mandat. Si vous êtes nouveau et sans expérience, vous risquez de vous faire un peu piéger par certaines dispositions. Par ailleurs, l’application de ces droits se fait souvent à coups de jurisprudences, en particulier pour les droits d’expression des élus d’opposition, construits au fil des recours d’autres élus. En pratique, le rôle et la place du conseil municipal et de ses membres dépendent largement du maire et de sa majorité et, donc, du respect qu’ils accordent ou non à leurs collègues d’opposition, ce qui en fait une expérience plus ou moins agréable.

Si nos droits étaient approfondis et bien définis, nous perdrions sans doute moins de temps et d’énergie à les faire respecter. Je m’arrête là pour ce diagnostic et je reviendrai peut-être ensuite sur les solutions à apporter.

Ghislaine Senée : Parfait, merci! Yvon, peut-être pourrais-tu répondre à cette question très concrète: quels sont les besoins de la démocratie locale aujourd’hui ?

Yvon Rosconval : Tout d’abord, je tiens à te remercier pour l’organisation de ce colloque. Ce qui me frappe depuis la création du collectif, il y a un peu plus d’un an, c’est le silence politique autour de la question de la démocratie locale. Je m’excuse d’aborder ce sujet de manière directe mais il faut bien appeler les choses par leur nom.

Nous avons rencontré de nombreux parlementaires, y compris des présidents de chambres. En général, nous avons été accueillis de manière sympathique. Certains ne nous ont pas répondu mais ceux qui nous ont reçus étaient bienveillants. Certains découvrent même la situation car ils ont été élus directement députés sans passer par les collectivités locales. Cela les éclaire sur la réalité de terrain mais, une fois qu’on les quitte, j’ai l’impression que le dossier de la démocratie locale est archivé et on n’a plus de nouvelles.

Je trouve donc particulièrement courageux d’avoir organisé cet événement car il y a une véritable volonté de faire avancer le sujet. Nous sommes à un tournant important avec des perspectives de décentralisation. Récemment, il y a eu le rapport Woerth, proposant 51 mesures pour la décentralisation mais aucune de ces mesures ne concernait le fonctionnement démocratique des collectivités locales. C’est inquiétant. Du côté des partis politiques et des mouvements, on parle beaucoup de démocratie participative. Mais en réalité, on s’aperçoit qu’elle ne fonctionne pas car la démocratie représentative elle-même ne fonctionne pas vraiment et il n’y a pas de transformations en vue. Tout le monde semble se satisfaire d’une situation qui dure depuis 1982. La démocratie locale n’a pas vraiment progressé depuis cette époque.

Les solutions qui sont proposées aujourd’hui s’attaquent surtout aux symptômes. Par exemple, on propose d’augmenter l’indemnisation des élus en pensant que cela résoudra les problèmes. Cela donne une image peu flatteuse des élus, surtout vis-à-vis de l’opinion publique. On laisse entendre que quelques mesures suffiront à améliorer leur situation. Pourtant, les problèmes sont bien plus profonds que cela.

Le débat mérite d’être poussé beaucoup plus loin que ce qui est proposé aujourd’hui. Il existe des solutions. Plusieurs associations d’élus ont travaillé sur ces questions. Le premier point, comme cela a été évoqué plus tôt, c’est de garantir le respect de la loi. Actuellement, des lois existent, notamment sur le droit à l’information via les outils numériques mais elles ne sont pas respectées. Par exemple, il est obligatoire pour les communes de publier toutes les décisions du maire sur leur site internet. Mais dans de nombreuses communes, cette obligation n’est pas respectée. Nous avons réalisé un baromètre à l’échelle départementale et nous avons constaté que, dans 50 % des communes, les décisions ne sont pas publiées. Il est donc nécessaire que le législateur vérifie que la loi est bien appliquée. Cela ne signifie pas qu’il faille continuer à produire des lois à tour de bras mais il faut avant tout faire respecter celles qui existent déjà. L’application de la loi aujourd’hui est loin d’être efficace et cela ne donne pas une image positive.

Un autre axe d’amélioration concerne l’accès à l’information. Il est nécessaire que les décisions de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) soient contraignantes pour les maires afin qu’ils répondent aux demandes d’information. Mais encore une fois, tout dépend de l’application de la loi.

Agir sur la communication est également un point crucial. Récemment, une élue de Bois d’Arcy m’a raconté que dans sa municipalité, ils allaient réduire l’espace dédié à l’opposition dans le journal municipal passant de 1 200 à 330 caractères par tribune. Cela envoie une image déplorable de la démocratie locale.

Il y a aussi la question des moyens alloués aux élus pour exercer leur mandat. Il est indispensable que les élus aient les moyens nécessaires pour fonctionner. Nous avons réalisé une enquête à ce sujet et constaté, qu’en moyenne, les élus dépensent 300 à 350 euros par an pour leurs activités. Ce n’est pas étonnant que les catégories sociales les moins favorisées aient du mal à s’engager en politique. Il est aussi important de rappeler que les élus consacrent en moyenne 3,5 jours par mois à leurs fonctions. C’est conséquent, surtout pour un élu d’opposition qui doit être généraliste, c'est-à-dire connaître tous les dossiers pour tenir son rôle au conseil municipal.

Un autre sujet à aborder est celui du pouvoir d’intervention des élus. Actuellement, ils n’ont presque aucun pouvoir sur l’ordre du jour des conseils municipaux. Il faudrait des mesures pour permettre aux élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, d’avoir une véritable capacité d’action en ce sens.

Il est également important de cesser de fantasmer le rôle de la préfecture. La Cour des comptes a récemment publié un rapport expliquant que les préfectures manquent cruellement de moyens pour exercer leurs missions. Les courriers envoyés par les maires aux préfets restent ainsi souvent sans réponse. Seul ⅓ courrier (en moyenne) est traité et souvent on y retrouve les éléments de langage du Maire. Si nous voulons que la démocratie fonctionne, il faut mettre les moyens nécessaires.

Enfin, il y a la question de la gouvernance. Il est essentiel de revoir le fonctionnement au sein des communes car trop de pouvoir est concentré entre les mains du maire. Il s’agit de parlementariser les communes et réfléchir à des réformes du mode de scrutin et des rapports de force au sein des conseils municipaux. Le collectif a travaillé sur des propositions, notamment sur une prime majoritaire à 25 %, même si (après simulation) cela ne change pas grand-chose au final. Il est peut-être temps de se pencher sur la proportionnelle ou sur d’autres modèles de gouvernance plus démocratiques.

Pour conclure, et c’était aussi le sens de ce collectif, je pense qu’il est urgent d’établir un diagnostic partagé de l’état de la démocratie locale en France. Il faut réunir des chercheurs, des élus locaux, des élus nationaux et des associations d’élus pour réfléchir ensemble à des solutions concrètes. Nous devons nous inspirer des autres démocraties et engager une véritable réflexion sur l’engagement des jeunes et des populations éloignées de la vie politique. C’est seulement de cette manière que nous arriverons à légiférer de la meilleure des façons.

Ce qui me frappe, c’est que nous avons des observatoires pour tout et même pour des sujets très spécifiques mais il n’y a pas d’observatoire de la démocratie locale. Cela en dit long sur notre volonté de progresser dans ce domaine.

Ghislaine Senée : Merci Yvon. Effectivement, nous allons reparler de cet observatoire. Catherine, peut-être que tu pourrais réagir à ce qui a été dit ou partager tes propres propositions concrètes d'amélioration. Comment pourrions-nous contribuer à ce débat ?

Catherine Candelier : Je vais suggérer quelques pistes d'amélioration même si je me suis volontairement auto-censurée car on pourrait facilement y passer une journée entière.

Tout d'abord, je pense qu'il est essentiel pour les élus de se regrouper dans un collectif. Comme mentionné plus tôt, il fut un temps où les syndicats et partis politiques jouaient un rôle formateur en matière de citoyenneté, de débat, et d’engagement. Aujourd'hui, avec la perte d'influence de ces structures, il devient crucial de trouver d'autres collectifs, y compris des collectifs citoyens, pour remplir ce rôle.

Je vais faire une petite publicité pour la Fédération des Élus Écologistes (FEVE) que je préside. C’est un réseau d’environ 1 000 élus de tous niveaux de mandat qui nous permet d’avoir une vision transversale et de mutualiser nos connaissances à travers le territoire français. C’est une association ouverte à tous les élus qui partagent une certaine philosophie écologique. Alors n’hésitez pas à vous joindre à nous, surtout qu’on n'est pas cher ! Vous pouvez également parler à Antoine, notre chargé de mission, pour plus d'informations.

Se retrouver dans un collectif permet de mutualiser les ressources et de gagner du temps surtout pour les élus d'opposition qui, comme cela a été dit, ont souvent peu de temps. Avoir accès aux expériences et conseils de collègues est un atout précieux.

Deuxième piste : il est nécessaire de promouvoir des majorités municipales soucieuses du débat démocratique au sein des conseils municipaux. Si un maire respecte l’opposition, il y a de fortes chances qu’il respecte aussi la population. Malheureusement, les maires qui maltraitent leur opposition sont souvent les mêmes qui ne consultent jamais la population ou qui organisent des consultations de façade. Par conséquent, la démocratie locale est souvent absente en pratique.

La qualité du débat démocratique est aussi primordiale. Ce n’est pas acceptable de couper systématiquement le micro aux opposants ou de les insulter. Un exemple de phrase assassine que j’ai entendue : « Madame Candelier, on espère que vous ne gérez pas votre budget personnel comme vous souhaiteriez gérer le budget de la ville.» Ou encore : « Vous n’y connaissez rien, vous n’êtes pas capable de comprendre. » Ce genre de pratiques violentes et vexatoires nuit au débat démocratique. Les conseils municipaux devraient donner l’exemple d’un débat respectueux. Parfois les outils techniques ne sont pas mis à disposition avec certaines personnes n’ayant pas accès à des adresses mail professionnelles par exemple…

Troisième piste : améliorer la représentativité des conseils municipaux. Peut-on encore continuer avec le système de prime majoritaire tel qu’il existe ? J'ai du mal à expliquer à mes concitoyens qu'avec 30 % des voix, une liste obtient 15 % des sièges au conseil municipal. Cette situation a été exacerbée par la faible participation lors des élections de 2020 en raison de la pandémie. Par exemple dans ma commune, 23 % des inscrits ont voté mais ces voix représentent finalement 83 % des sièges du conseil. Il est temps de rouvrir le débat sur la démocratie intercommunale.

Quatrième piste : renforcer les droits des élus en matière d’information. Trop souvent, les conseils délèguent des compétences au maire sans vraiment savoir ce que cela implique. Quand je demande des explications (par exemple sur les œuvres d’art achetées par la ville) on me répond de manière évasive, on ne me fournit que l’annexe de décision, on me renvoie un mail... Si ces informations étaient automatiquement accessibles, cela améliorerait grandement les choses. Beaucoup de droits sont prévus dans le code des collectivités mais sans sanction pour leur non-application. Par exemple, un débat annuel sur la formation des conseillers municipaux est obligatoire depuis 2022 mais peu l'ont vu se réaliser.

Cinquième piste : encourager le droit à la formation. Même si cela s’est amélioré ces dernières années. C’est encore peu pratiqué par les collègues, souvent par manque de temps, d’énergie ou de moyens. La gestion municipale est de plus en plus complexe, et la formation est un moyen précieux de se remotiver et d’échanger avec d'autres élus.

Protection fonctionnelle pour tous les élus, indemnités pour tous les élus sous condition de présence effective. Ça améliorerait beaucoup l’attractivité de ce statut.

Enfin, une dernière piste plus baroque : Pourquoi ne pas accorder aux conseillers municipaux un statut similaire à celui des sapeurs-pompiers volontaires ? Les entreprises et administrations sont souvent fières de compter des pompiers volontaires dans leurs effectifs. De la même manière, elles pourraient être encouragées à libérer des employés pour leur permettre de participer activement à la démocratie locale. Cela donnerait aux entreprises et administrations un rôle citoyen tout en valorisant l’engagement des élus.

Ghislaine Senée : Merci Catherine. Yvon, tu veux compléter?

Yvon Rosconval : Lorsque nous avons créé un collectif, j’ai échangé avec de nombreux élus par téléphone et il y a eu un véritable soulagement. Beaucoup m’ont dit : « Enfin! Il se passe quelque chose… On va s'organiser et se retrouver ensemble. » Il y a un vrai besoin de sortir de son isolement. Si l’on reste focalisé uniquement sur ce qui se passe dans sa commune, l’on finit par avoir l'impression que ce n’est pas d'un collectif dont on a besoin mais d'une cellule de soutien psychologique tellement la situation devient difficile à vivre.

Sur le constat général, il y a un consensus. Les différentes observations convergent vers un même problème et les élections municipales seront une opportunité pour l’aborder. Je pense que les politiques commenceront à réagir quand l’opinion publique prendra conscience de ce qui se passe réellement derrière la façade des mairies. La majorité des citoyens a une image idéalisée de la situation locale, en partie à cause d'études comme celles du Cevipof qui placent le maire dans une position très favorable. Cela crée l’illusion que tout va bien.

Cependant, entre deux élections, la réalité de la démocratie locale reste inaudible. Je pense qu’à l’approche de la prochaine campagne électorale, il y a une vraie opportunité pour sensibiliser l’opinion publique. Il faut non seulement s’adresser aux candidats, mais aussi aux électeurs en les informant sur le fonctionnement d’une commune et, surtout, des dysfonctionnements démocratiques actuels.

Un bon exemple est la mise en place du "débat de politique générale" au sein des conseils municipaux. Ce devrait être un moment clé de démocratie, permettant de discuter des projets locaux. Cependant, de nombreux maires ne savent pas comment l’appliquer et très peu de ces débats ont effectivement eu lieu. Cela montre les limites de la loi. Même si elle propose des outils démocratiques, ils sont rarement mis en pratique. Je pense donc qu'il faudrait aller plus loin et contraindre les maires à s’engager activement dans ces débats par une loi plus ferme.

Cependant, il ne s'agit pas de diaboliser les maires. Nous connaissons tous des élus qui, avant 2020, étaient dans l'opposition et dénonçaient certains dysfonctionnements mais qui (une fois élus en tant que Maire) ont fini par reproduire les mêmes comportements. Cela prouve que le système dysfonctionne et que les élus ne sont pas naturellement enclins à “mal agir”.

Je suis d’accord avec l’idée d’un statut pour les élus à l’image de celui des sapeurs-pompiers volontaires. Cependant, il reste à convaincre les entreprises de la valeur de l’engagement politique qui est tout aussi important, symboliquement, que celui des pompiers. Il y a un travail de sensibilisation à faire à ce niveau.

Ghislaine Senée : Je vais peut-être jouer l'avocate du diable car j’apprécie cet exercice. En tant qu’ancienne maire, il faut comprendre que du jour au lendemain nous devons faire preuve d’une grande technicité et nous sommes enjoints de répondre à tout. De grandes responsabilités pèsent sur nos épaules... Quand les citoyens sont mécontents, ils s’adressent directement au Maire. Aujourd'hui, il y a une exigence croissante qui crée une pression immense particulièrement dans les petites communes ; même si nous rencontrons moins de problèmes en matière de règlement intérieur et de transmission de documents.

Dans ces petites communes, la démocratie est souvent dépolitisée. Le maire, même s'il met en place des politiques publiques, doit naviguer entre des élus de différentes sensibilités politiques pour construire un projet collectif. C’était mon cas. Mon conseil municipal n'était pas uniformément écologiste et de gauche mais cela fonctionnait parce que nous avons su collaborer, sans tomber dans des batailles dogmatiques, en se concentrant principalement sur la construction d’un projet.

Par ailleurs, les maires avec lesquels je dialogue beaucoup se retrouvent souvent confrontés à une violence verbale de la part des élus d’opposition, ce qui crée des tensions énormes. Chaque petite phrase peut entraîner une saisine du préfet ou de la CADA. Cela devient parfois théâtral. Il est important de rappeler que, de part et d’autre, les élus sont en général épuisés par la charge de travail croissante alors que les moyens diminuent.

Quand j'ai été élu en 2008, je pouvais compter sur les services de la préfecture pour m’aider. Aujourd'hui, ces ressources sont presque inexistantes et les maires, (notamment dans les petites communes) sont souvent livrés à eux-mêmes. Avec l'intercommunalité, les maires doivent gérer une multitude de dossiers complexes sans avoir toujours les moyens ou la formation nécessaires. Cela ajoute une pression supplémentaire car l’opposition peut interroger les maires sur des sujets qu'ils ne maîtrisent pas toujours, ce qui crée des tensions… Je me rends compte aussi que, lorsqu’on est maire, on prend des automatismes. Il y a des choses que l’on ne remet plus en question ou parfois l’on voit tout de suite le temps et l'énergie qu’il faut dépenser pour un projet que l’on préfère désamorcer tout de suite.

Je pense qu’il est important que toutes et tous ici puissent exprimer leur malaise mais je tenais à exprimer également le malaise que ressentent de nombreux maires et notamment ceux des petites communes. Il faut tout à la fois se donner le temps et les moyens de comprendre les enjeux tout en mesurant le poids de la prise de décisions. Voilà, c’était ma petite parenthèse… Je cède la parole à Solène qui voulait intervenir.

Solène le Monnier : Je veux juste rebondir sur ce que vous avez dit. En tant qu'association qui soutient les conseils municipaux, nous constatons que la charge pesant sur les maires est immense. Nous avons demandé à ces élus de devenir omniscients et omniprésents. Ce qui est totalement impossible. Cette frustration, souvent exprimée violemment par les citoyens, se retrouve également à l'intérieur des conseils municipaux. Les élus minoritaires deviennent de plus en plus exigeants et génèrent une pression supplémentaire sur les maires.

Il est donc essentiel de rétablir un équilibre. Les fautes viennent des deux côtés. En fait, le problème est bien souvent lié à la répartition des rôles au sein du conseil municipal. L'isolement des élus est effectivement un réel problème (notamment pour ceux qui se retrouvent isolés dans leur commune du fait de la distance des communes voisines). C’est la raison de la création de notre association et d'autres collectifs: briser cet isolement.

Par ailleurs, nous sommes confrontés à un manque de communication. Il n’existe pas de répertoire des conseillers municipaux et bien souvent les mairies ne transmettent pas les contacts auxquels ils ont accès à leurs élus. Hormis via les réseaux sociaux, les difficultés rencontrées par les conseillers municipaux ne sont pas relayées et ces derniers ont le sentiment d’être des oubliés du paysage politique.

Anonyme 10: Le règlement intérieur est voté à la majorité et cela n’est pas sans poser des difficultés. Concernant les lois et les règlements, la problématique concerne principalement leur respect et leur application.

Anonyme 11 : L'élargissement des pouvoirs du maire peut parfois désarçonner ceux qui n’y sont pas préparés et peut entraîner des dérives. J'ai vécu cette situation en 2000 lorsque j'étais élu (pendant un an) avec un maire dont l'évolution m'a poussé à partir. Aujourd'hui, je suis dans l’opposition et je rejoins vos propos.

Un point intéressant à soulever serait de passer à un système de “proportionnelle à 1 tour”. Actuellement, notre système fonctionne avec deux tours où l'on peut inclure 10 % des voix et fusionner des listes. Je me demande si nous avons des études sur le sort des maires issus de ces fusions car j'ai constaté, à travers de nombreux exemples, que cela ne se termine pas bien. Ce système à deux tours peut en effet être problématique dans la mesure où il encourage des alliances entre personnes avec des projets divergents, souvent motivées par le seul désir de battre un tiers (ce qui n'est pas la motivation la plus vertueuse).

Pour toutes ces raisons, je pense qu'une véritable proportionnelle à un tour pourrait supprimer ce type de fonctionnement défectueux.

Anonyme 12 : Je souhaite d'abord préciser que j'ai été adjointe au maire pendant dix ans mais j'ai démissionné de cette fonction l'année dernière tout en conservant mon mandat d'élue. Et j’ai constitué un groupe d'opposition. Je ne souhaite pas être redondante avec tout ce qui a été dit ce matin néanmoins je pense qu'il est important d'intervenir.

J’ai entendu qu’il ne fallait pas profiter de cette réunion pour dénoncer des faits qui nous concernent. C’est dommage car il est essentiel d'entendre les enjeux en détail. Un point crucial à aborder est la répartition des pouvoirs, en particulier celui du maire, qui est extrêmement bien protégé en France. Je reconnais que certains maires rencontrent des difficultés mais cela ne concerne pas tous les maires.

Dans notre commune, par exemple, notre maire utilise habilement la protection fonctionnelle. Cette protection (qui se vote en conseil municipal) est souvent mise en avant dans les discussions sur les difficultés des maires. Cependant, notre maire a fait voter cette protection de manière unilatérale alors qu'elle refuse de voter celle des agents qui le souhaitent, arguant qu'il n'est pas nécessaire de le faire.

Cela soulève une question importante : la protection fonctionnelle ne résout pas les problèmes de démocratie mais pour autant le maire ne devrait pas avoir le pouvoir de retirer des droits sans se justifier publiquement. C'est un point grave. En tant que maire, il porte une responsabilité envers la population et doit fournir des explications. Il ne peut simplement affirmer : "J'ai le droit donc je fais ce que je veux."

Ghislaine Senée : Je veux avancer sur ces sujets, et dans cette optique, il est essentiel de respecter chacun. Plonger trop dans les détails peut créer plus de tensions et empêcher la prise de conscience nécessaire pour avancer même s’il est crucial de clarifier la protection fonctionnelle qui est censée bénéficier à tous les élus municipaux.

A ce sujet, la loi du 21 mars 2024 dispose que cette protection peut être retirée par l'exécutif. Cela pose un véritable problème. En interne, l'utilisation de la protection fonctionnelle mérite réflexion. Elle devrait servir à protéger l'élu face au citoyen dans le cadre de son mandat.

J’avais proposé également que, lorsque des conflits surviennent entre membres d'un même conseil municipal, celui qui perd rembourse les frais afin d’éviter les excès. Les conflits peuvent parfois devenir irrationnels et il serait plus judicieux de laisser la justice trancher une fois pour toutes. En fin de compte, il s'agit d'argent public souvent engagé dans des combats qui ne méritent pas un tel investissement.

Anonyme 13 : Je suis actuellement maire adjoint d’opposition. C’est mon troisième mandat. Je pense que ce sera le dernier car la situation actuelle est désastreuse. J’ai répondu “désastreux” à la question précédente. Lors de mes études de droit, un professeur nous a demandé qui était l’élu ayant le plus de pouvoir en France, ce à quoi nous avons répondu “ le président de la République ?” Il nous a alors dit “non, c’est le maire”. Après trois mandats, je peux confirmer que le maire peut agir sans contrainte, allant jusqu'à insulter et enfreindre la loi en toute impunité puisque toute affaire portée devant la justice peut traîner des années.

Nous avons un maire qui commet régulièrement des infractions. Malgré nos dénonciations, les affaires sont rapidement classées par le préfet. Nous avons même des dossiers en cours auprès du Procureur de Versailles et au tribunal administratif mais les procédures sont longues. Lorsqu’un élu d’opposition souhaite agir, il est souvent confronté à des frais juridiques importants qui peuvent s'accumuler rapidement, notamment si l’on doit faire appel à un avocat régulièrement.

Je propose qu’il soit envisagé d’organiser la prise en charge des frais d’avocat dans des cas graves comme les prises illégales d’intérêts ou la concussion où le maire met en danger la commune par ses actes illégaux. Ce serait une protection pour les élus d’opposition.

De plus, il serait pertinent d’introduire un droit pour les conseillers municipaux, en particulier ceux de l’opposition, similaire aux niches parlementaires. Ainsi, chaque groupe d’opposition pourrait avoir la possibilité de déposer un projet de délibération une fois par trimestre ou par semestre à l'instar de ce qui existe au parlement.

Anonyme 14 : Je travaille avec Yvon et suis élu municipal dans les Yvelines. Nous faisons partie du collectif 78. Je remercie Catherine Candelier d’avoir rappelé, qu’en tant qu’élu sans délégation, nous avons un rôle. Même si on a parfois l’impression que cela ne sert à rien. En réalité, cela compte toujours et de nombreuses victoires ont été obtenues à force de lutte et de défense de nos droits. Je pense que c’est important de le rappeler.

Il est aussi important de rappeler que la démocratie, du moins au niveau municipal, repose sur le conseil municipal qui est souverain et dont le maire est un élu. Le conseil municipal a pour mission de délibérer en présence d’un véritable débat d’idées, ce qui requiert d’avoir toutes les informations nécessaires. C’est la raison pour laquelle les règles d’accès à l’information doivent être respectées. C’est essentiel, car sinon (ce qui se passe à chaque fois) l’on ne parle pas du fond  mais des personnes ; ce qui rend souvent le débat délétère et nous éloigne du sujet et des enjeux.

En tant que conseillers municipaux, nous représentons des électeurs. Tout part des électeurs. L’enjeu, c’est que la décision publique soit une décision collective prise par le conseil municipal mais aussi par extension les électeurs de sorte qu’ils se sentent inclus dans la prise de décision. Pour éviter l’éloignement et la défiance que l’on observe de plus en plus, il faut absolument que la décision reflète la volonté générale au-delà de la notion de majorité, autrement dit que ce soit une décision collective.

Si l’électeur est notre point de départ, alors la démocratie doit être ascendante. Yvon et moi réfléchissons à cette question : quelle loi pourrait être cette graine qui ferait germer peu à peu un système capable de se réaligner ? Nous réfléchissons constamment à de nouvelles idées. Voici mon idée : si l’électeur est à la base, il est nécessaire que la démocratie soit ascendante c'est-à-dire qu’elle parte d’en bas et remonte.

Je pense également qu’il y a un problème d’omniscience : une seule personne ne peut pas décider de tout pour tout le monde. Mais si la décision est collective, elle peut partir de l’électeur et la commune devient alors le premier échelon. Il faut envisager une démocratie ascendante et sub-ascendante. Serait-il possible de réformer en ce sens ? Chaque commune pourrait avoir l’opportunité d’expérimenter plus facilement, de mettre en pratique les promesses et idées formulées au moment des élections municipales. Plutôt que de décider pour tout le monde, il serait peut-être plus productif de tester des idées localement afin de voir ce qui fonctionne.

Anonyme 15 : J’ai l'impression d’être l’un des seuls appartenant à la majorité. Il y a beaucoup de problèmes de communication entre majorité et minorité. On a commencé notre mandat en 2020 et ça n’était pas simple. On a pu réellement se poser sur les projets en 2022. Une des choses qui m’étonne, ce n’est pas le nombre de démissions parmi les élus mais plutôt les raisons pour lesquelles ils démissionnent. Si c’est “ on est de l’opposition, on ne nous entend pas” ou si c’est “ on est de la majorité et nous avons d’autres problèmes” . De mon côté, je rencontre en effet d’autres difficultés notamment de temps.

Je voulais prendre la délégation jeunesse, mais pour une indemnité de 100 euros, j’ai préféré ne pas la prendre. Je suis dans une entreprise qui me permet de prendre quelques jours, mais avec seulement cinq semaines de congés, cela reste difficile. Il y a des dispositifs pour les maires et les adjoints mais rien pour les conseillers municipaux. Les réunions ont lieu en pleine journée, ce que je comprends, mais cela reste problématique pour moi.

Au niveau des formations, j’ai découvert que nous avions un CPF spécifique pour notre mandat mais personne ne me l’avait jamais dit. C’est un vrai sujet : on demande un engagement fort mais nous n’avons ni le temps ni les moyens financiers pour l’assumer pleinement. Et le temps, malgré tout, c’est de l’argent. Nous nous privons de notre emploi qui nous nourrit pour faire du bénévolat au service de la ville et du bien commun. Je pense qu’il serait utile de revoir le cadre général pour aider les conseils municipaux à avancer dans leurs projets.

Ghislaine Senée : Il n’y a pas de différence : la question de la formation et du temps disponible se pose de la même manière pour la majorité et pour l’opposition. A ce colloque sont venues davantage des personnes de l’opposition et des personnes qui se sont retrouvées en difficulté au sein de la majorité. Elles ont choisi soit de la quitter soit de rester.

Concernant le statut de l’élu, les réflexions menées actuellement visent à améliorer les conditions de formation et à permettre des autorisations d’absence ou des congés plus flexibles, de manière égale pour tous. Il ne s’agit pas seulement de soutenir les élus de la majorité mais également ceux qui ne sont pas dans l’exécutif voire, même, les conseillers sans étiquette spécifique qui contribuent aussi à la construction des projets. Ce sont des éléments qui progressent et je pense qu’ils aboutiront car, quel que soit l’élu, il est évident que l’échelon local est crucial.

L’enjeu est de donner aux communes et aux collectivités locales les moyens nécessaires pour agir. Cela ne signifie pas seulement un petit budget pour des actions ponctuelles (comme dans le domaine de la jeunesse) mais des moyens pour agir durablement sans dépendre des autres collectivités, que ce soient le département ou la région. Nous sommes de plus en plus confrontés à des appels à projets systématiques, ce qui réduit notre visibilité pour construire une action politique cohérente à long terme.

Solène Le Monnier : Au sujet des actions judiciaires qui ont été engagées par le conseil municipal et de leur coût financier, il est important de ne pas tout mélanger. A partir du moment où vous faites un signalement selon l'article 40, vous le faites en tant qu’élu et cela ne coûte rien. C'est le procureur qui décidera ensuite de déclencher des poursuites. Si vous engagez une action, vous avez les mêmes droits qu’un citoyen. Ce sera alors le jugement qui déterminera les éventuels dommages et intérêts. Un telle action n’entre pas dans le cadre du statut de l’élu ou du fonctionnement d’un conseil municipal. Il est crucial de bien distinguer les aspects juridiques, administratifs et le fonctionnement du conseil. Dans ce dernier cas, il n’y aura pas de prise en charge. Je ne vois pas comment une telle prise en charge pourrait être inclue dans la législation actuelle, sauf à travers la protection fonctionnelle. Mais ça me paraît complexe.

Peut-être une suggestion en réponse à la question de la formation des élus. Il semble difficile d’instaurer une formation obligatoire avant les élections de 2026. En revanche, nous avons soumis l’idée que soit remis un fascicule informatif au moment de l’inscription des listes en préfecture. Ce document pourrait préciser les droits et obligations des futurs élus, comme la possibilité de poser des jours, les accès aux formations et les contacts utiles. Ce type d’information, fourni avant le début du mandat, permettrait aux élus de mieux démarrer.

Catherine Candelier : Je tiens à rappeler que notre propos n’est pas de critiquer une catégorie d’élus en particulier mais plutôt de souligner la difficulté d’exercer certaines fonctions depuis trop longtemps. Et il faut admettre que le rôle de maire, avec tous ses pouvoirs, est parfois convoité pour cette raison. Cela dit, certains maires font un travail remarquable.

Par exemple, Jean-François Caron (ancien maire et premier président de la Fédé) a été pionnier en matière de citoyenneté locale sur le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais en mettant en place des dispositifs novateurs de citoyenneté qui ont fonctionné. Les collectivités territoriales et leurs exécutifs peuvent expérimenter et mettre en œuvre des outils pour améliorer la démocratie locale. Et, c’est là qu’intervient une réelle volonté politique. Il s’agit de faire vivre la démocratie locale, ou pas, selon la vision de l’exécutif en place.

Yvon Rosconval : Cela a été évoqué plus tôt et je vais répondre à cette question. Nous sommes actuellement dans une situation où des situations inconcevables se produisent dans de nombreux conseils municipaux . Par exemple, il arrive que la police municipale distribue les micros aux élus pour qu'ils puissent intervenir. Cela va jusque-là. Ca ne veut pas dire que tous les élus d’opposition sont vertueux

Il faut comprendre que, dans certains cas, les élus d’opposition sont tenus à l'écart. Quand on en arrive à ce type de situation avec une véritable tension voire une forme de violence dans les échanges, il est crucial de réfléchir aux solutions possibles. Actuellement, on parle beaucoup de diplomatie. Comment peut-on réussir à s’asseoir autour d’une table afin d’identifier des axes de progrès et de mieux collaborer ?

C'est l'esprit de notre proposition : cessons de nous limiter à des constats répétitifs! Nous pourrions tenir des réunions pendant dix ans mais si nous restons dans le constat, rien n’avancera. Essayons plutôt de réunir toutes les parties prenantes autour de la table pour dresser un diagnostic de la situation actuelle. Certes, des choses désagréables seront dites mais au moins nous aurons un diagnostic clair avec des solutions à envisager, ce qui permettra à chacun d'agir en pleine connaissance de cause.

C'est dans cet esprit que nous proposons la création d'un observatoire qui permettra de sortir des situations de blocage actuelles. Le niveau de conflictualité est tel que, sans une telle démarche, il sera difficile d'avancer. Un autre point intéressant, en lien avec ce qui a été mentionné, serait que cet observatoire puisse également contracter avec des municipalités sur des expérimentations afin de favoriser une collaboration intelligente. Nous pourrions ainsi accompagner la mise en œuvre de certaines expérimentations sans nécessairement tout centraliser et en laissant place à des initiatives diversifiées.

Soyons francs, il est aussi important d’observer ce qui se fait ailleurs. Dans d’autres pays, il existe sûrement des pratiques qui, même si elles ne sont pas entièrement transposables, peuvent nous inspirer. Avec une telle approche, nous pourrions recréer au sein des conseils municipaux un climat plus constructif, permettant de débattre et d’organiser des discussions sans tomber dans l’invective.

Anonyme 16 : Ce qu’a dit Yvon rejoint la séparation des pouvoirs exécutif et législatif. On pourrait envisager un président du Conseil municipal qui ne soit pas le maire.

Pour aller dans ce sens, l’association nationale des élus d’opposition a élaboré une plateforme regroupant une trentaine de propositions, reprenant globalement les idées déjà évoquées. Grâce à son envergure nationale, cette association a pu présenter ces propositions aux conseillers de l’Élysée ainsi qu’aux anciens conseillers et ministres concernés, au président de la CADA afin d’encourager leur mise en œuvre et de poursuivre notre action pour améliorer les conditions de mandat des élus locaux. Ce qui est important : c’est de faire en sorte que ces mesures soient appliquées. Je pense que, sur la prime majoritaire, on est tous d'accord mais je vais vous parler de deux autres mesures : rallonger le délai de convocation et rendre quelques commissions obligatoires, au moins celle des finances. Dont la présidence reviendrait à un élu d’opposition. Notre plateforme contient des éléments législatifs importants qui doivent recevoir une application effective. Concernant les délais de convocation, il reste des progrès à faire. Actuellement, les communes de moins de 3 500 habitants disposent d’un délai de convocation de trois jours, contre cinq jours pour les autres communes. Pour le budget, nous avons réussi à obtenir un délai étendu à douze jours. Cependant, ce délai prolongé ne s’applique qu’au budget initial et non au budget supplémentaire ou aux décisions budgétaires modificatives. Ce point constitue un véritable enjeu.

Enfin, il serait pertinent d’introduire des commissions obligatoires notamment celle des finances comme dans les assemblées parlementaires. Assurer la présidence effective de cette commission par un élu de l'opposition me paraît essentiel car la gestion des finances est au cœur du fonctionnement communal.

Anonyme 17 : Bonjour, je suis référent pour Anticor dans les Yvelines. J'ai arrêté d’être élu en 2008 après avoir exercé en tant que membre de la majorité et adjoint. À présent, avec Anticor, nous utilisons la loi: nous vérifions son application et agissons contre les transgressions. Ce que vous avez dit aujourd’hui résonne beaucoup avec ce que j’ai vu en matière de respect entre majorité et opposition. Je note aussi qu’en dépit des nombreuses démissions, l’on trouve toujours des candidats pour faire des listes et surtout pour être maire. Ça montre bien que le « beau poste » attire toujours. Mais le travail en équipe reste rare même dans les bureaux. On est souvent dans une logique où le conseil est une chambre d’enregistrement.

Concernant la formation, j’ai bien aimé l’idée de mettre un délai entre l'élection et la prise de fonction. La formation est cruciale, surtout pour préparer les élus aux risques de corruption largement méconnus. Jamais les communes ne forment leur élus sur ce point. Par exemple, la plupart ignore ce qu’est la concussion, l’article 40, ou même leurs droits d’agir. Aussi, malgré l’obligation de publier certaines informations sur les sites municipaux, on constate que seulement 15 % des communes le font. Le contrôle de légalité, on sait bien que cela n’existe pas. Un dernier point: la protection fonctionnelle. J’ai une confidence à vous faire sur la loi qui a été votée en mars à ce sujet. D’une part, la protection fonctionnelle ne se vote plus et d’autre part une erreur de copier-coller a abouti au fait que la diffamation n'est plus protégée pour le maire — mais qu’elle l’est encore pour sa famille. Allez comprendre : un copier coller mal fait!

Anonyme 18 : Je suis élu dans une commune des Yvelines de 8 000 habitants. J’ai été élu pendant quatre ans dans la majorité avant de démissionner en raison d’un manque trop flagrant de transparence et de communication. Ma question est la suivante : Comment avez-vous fait pour nous trouver et nous contacter dans chaque commune ? Quels moyens de communication ou d’information avez-vous utilisés ?

Ghislaine Senée : J’ai tout simplement dressé une liste. Pour ce faire, j’ai contacté systématiquement les collectivités afin d’obtenir les adresses mail nécessaires. J’ai également envoyé un courrier aux maires pour les informer du colloque et d’un petit-déjeuner que j’organise prochainement.

Anonyme 19: Merci pour ce colloque. Je suis conseiller municipal à Bougival. Pour être bref, quelques constats. Premièrement, je remarque, comme beaucoup, l’inflation des lois en France : on semble très forts pour produire des lois mais bien moins pour les respecter ou les appliquer. Une édition de Philosophie Magazine parlait de plus de 100 000 textes de loi en vigueur – un chiffre qui en dit long. Cet irrespect des lois est quelque chose que l’on constate jusqu’au plus haut niveau et cela se répercute sur la population.

Cela me fait penser à une phrase de Jean-Pierre Chevènement : “Dans notre système, la formation au rôle est essentielle mais on a souvent des élus propulsés sans expérience de terrain.” Emmanuel Macron, par exemple, a été élu président sans avoir été auparavant conseiller municipal. Cette situation exacerbe la crise de la représentativité que l’on a bien sentie avec les Gilets jaunes en 2018 où la demande de démocratie locale était très forte. À Bougival, par exemple, une délibération votée en mai 2020 a accordé au maire des pouvoirs étendus pour des dépenses substantielles. Il peut prendre seul des décisions jusqu’à des montants importants. C’est un sujet d’inquiétude, surtout pour les décisions de grande ampleur.

Une étude américaine récente que j’ai vue montrait que les textes de lois tendent à devenir de plus en plus complexes, un facteur qui aggrave la déconnexion des citoyens. Nos conseils devraient intégrer une plus grande diversité et pas seulement des profils diplômés. En Californie, j’ai pu (en tant que simple résident) participer aux débats du conseil municipal. Ce modèle mérite réflexion.

Enfin, je rejoins la remarque sur le fait qu’il serait pertinent d’instaurer une formation préalable à l’élection des représentants locaux. Il existe des modèles (notamment en Australie) où certains candidats suivent une formation spécifique avant de se présenter.

Ghislaine Senée : Je vais tenter de répondre à certaines questions et aborder quelques points qui ont été soulevés. Vous n’étiez peut-être pas là lors de l’installation du conseil municipal mais il y a une délibération importante concernant la délégation au maire. Il y a un certain nombre d’articles qui sont votés à ce moment-là. C’est un sujet délicat car il fixe des montants pouvant être délégués pour des décisions sans véritable contrôle. Par usage, on peut déléguer au Maire des marchés de plus de 6 millions d’euros. Là aussi, il s'agit d'un sujet sur lequel on peut se poser des questions. Doit on confier des sommes aussi importantes à une seule personne? Comment les décisions prises en application de cette délégation sont rapportées au conseil?

À ce propos, j’ai une dernière question pour vous. Si vous pouviez changer quelque chose dans votre mandat, quelle serait votre priorité ?


Conclusion :

Pour conclure, je vous remercie non seulement pour votre présence mais aussi pour la tenue des propos et des propositions qui ont été faites. Je souhaite vraiment inscrire cette démarche dans le temps. Un certain nombre de questions ont été soulevées, et d’ailleurs, certaines sont déjà en débat au Sénat. Je trouve qu’il est très important que nous ayons pu partager notre regard d’élu. C’est-à-dire de représentant qui n’a pas forcément de responsabilité mais qui s’est engagé et a quelque chose à donner.

Nous traversons une crise politique profonde marquée par un manque de confiance et une incompréhension des citoyens face à l’action publique. Certes, il y a des exigences. Mais demander que la loi soit respectée me semble finalement le rôle de tout un chacun. A cet égard, vos interventions et observations sont la preuve de la citoyenneté que l’on attend des élus.

Dans un contexte politique incertain, il paraît essentiel de porter un coup de projecteur sur l'échelon local c'est-à-dire l’entité communale. Face aux désordres sociaux, écologiques et économiques, l’échelon communal est probablement le plus important. En France, nous sommes près de 560 000 élus dont environ 489 000 conseillers municipaux. Si l’on retire l'exécutif, vous êtes 339 000 conseillers municipaux. Il est parfaitement normal que vous soyez entendus.

Dans les communes de moins de 1 000 habitants, ce chiffre atteint 271 000 conseillers et donc une capacité d’action considérable, une véritable force pour faire entendre la voix de nos concitoyennes et de nos concitoyens. C’est remarquable! Lorsqu’un administré venait me voir, bien souvent je lui disais : “ ça va être compliqué / on a plus de moyens / le Préfet ne me répond pas”. En préparant ce colloque, je me suis rendue compte que nous représentons en réalité la puissance publique réelle. Et pourtant… Nous sommes les premiers à dire que ça ne marche pas. Il serait temps, qu’au sommet de l'État, il y ait une conscience de cette manne, de cette énergie et de ce potentiel de transformation de l’image de la politique. C’est essentiel.

Je tiens à vous exprimer ma gratitude pour vos contributions qui vont nous permettre d’avancer dans la bonne direction. Je tiens aussi à remercier les intervenants qui ont brillamment animé ce colloque ainsi que mon équipe.

Je souhaite que nous continuions le travail entamé ce jour et nous poursuivrons si vous le souhaitez ces échanges. Merci encore pour votre engagement.

Ghislaine Senée, Sénatrice des Yvelines.